Â
Isabelle DRAELANTS et Kevin ECHAMPARD [1]
Â
Alors que les grandes œuvres de compilation médiévales théoriques sur la nature, telles que les ouvrages d’Isidore de Séville, d’Albert le Grand et des encyclopédistes du XIIIe siècle sont aujourd’hui bien connues grâce à l’intérêt précoce que leur ont porté plusieurs générations d’historiens, nombre de traités pratiques plus modestes par leur taille et leur diffusion n’ont pas eu cette fortune. Cette littérature pragmatique s’illustre à partir du XIIIe siècle par exemple dans les domaines de la fauconnerie, de la peinture et de la pharmacopée, et connaît rapidement un développement dans toute l’Europe médiévale. Naissent ainsi nombre d’ouvrages spécialisés à vocation utilitaire, généralement adaptés à un public local qui pouvait le lire dans sa langue d’usage[1] ; ces traités en effet ne dérivent pas tous d’un texte originel en latin. Cette littérature, en expansion à la fin du Moyen Âge, connaît un regain d’intérêt depuis une trentaine d’années, en particulier pour ce qui touche aux ouvrages de botanique[2] et à leurs adaptations en langues vernaculaires. Dans ce domaine de recherche, l’école allemande des historiens de la Fachprosa a été précurseur[3].
C’est dans le champ plus précis des ouvrages sur les vergers et la greffe que nous proposons une première traduction française commentée d’un traité pratique sur la greffe et l’arboriculture en général : le De plantatione arborum anonyme. Ce tractatus s’intéresse en particulier à la greffe des arbres fruitiers (insitio).
Technique arboricole très en vogue auprès des hommes du Moyen Âge qu’elle passionne, elle était connue depuis l’Antiquité, dès le De re rustica de Caton au IIe siècle A.C.N. Elle fut par la suite abordée par Columelle, Pline l’Ancien au Ier siècle et par Palladius au Ve siècle, dans son poème De insitione[4] ainsi que dans son Opus agriculturae, qui devient la référence en la matière jusqu’au XIIIe siècle[5]. Ainsi, les encyclopédistes comme Thomas de Cantimpré (Liber de natura rerum, vers 1230-40) et Vincent de Beauvais (dans la version trifaria vers 1255 du Speculum naturale) s’y réfèrent longuement, et Albert le Grand en fait sa source fondamentale d’arboriculture[6], aux côtés de la traduction par Alfred de Shareshill (1200-1210) du De vegetabilibus attribué à Aristote[7], qui présente la greffe comme une technique commode pour améliorer la nature. Ensuite paraissent l’Abbreviatio Palladii et le Pelzbuch de Godefroid de Franconie, dont il sera question plus bas, et l’Opus ruralium commodorum du bolonais Pietro de’ Crescenzi (1305-1309) consacre le chapitre 23 du livre II à la greffe[8], en s’inspirant largement du livre VII d’Albert le Grand. La greffe a produit ainsi à partir du XIIIe siècle une littérature riche, théorique, puis pratique, dont nombre de traités sont bien illustrés[9].
G. Eis a, le premier, étudié de manière approfondie et édité les versions vernaculaires médiévales du Pelzbuch[10] de Godefroid de Franconie (Gottfried von Franken) et analysé les sources d’inspiration de ce traité spécialisé sur la greffe qui adapte les notions d’arboriculture livrées par Palladius et y ajoute d’autres sources livresques largement mêlées d’expérience personnelle. La version décrite par G. Eis est une traduction directe en langue vernaculaire de l’œuvre latine, composée d’après lui au milieu du XIVe siècle sous le nom d’Abbreviatio Palladii[11]. Suivant ce travail magistral, plusieurs historiens se sont penchés sur ce genre particulier. On peut mentionner, par exemple, l’étude du Recueil de Riom par C. Lambert ; dans ce recueil, un traité d’arboriculture en ancien français est accolé à un réceptaire culinaire, deux types d’écrits souvent associés dans un codex[12].
Stricto sensu, le greffage consiste à réunir un organisme à un ou plusieurs autres de telle manière qu’il y ait un passage de matières (sèves) entre les parties mises en contact. Comme en étaient conscients les hommes du Moyen Âge, cette technique permettait d’améliorer les végétaux et de reproduire les caractéristiques d’un spécimen présentant des qualités particulières. Le terme de greffe, comme le note J.-L. Gaulin en se fondant sur la partie qui lui est consacrée dans le livre VII du De vegetabilibus d’Albert le Grand[13], « ne désigne plus seulement une technique : il permet de cerner une véritable notion apte à rendre compte de toutes les interventions réalisées sur la substance des végétaux et destinées à en stimuler la croissance. » Cette amélioration de l’arboriculture devint nécessaire au XIIIe siècle, après des siècles de déclin des espèces domestiquées. Comme l’écrit Perrine Mane, « à la fin de la domination romaine, […] le nombre des arbres cultivés régresse et plusieurs espèces domestiquées sont perdues, […] Or toutes les sources confirment que l’arboriculture prend ensuite un nouvel essor. Cette relance débute à des dates diverses suivant les régions. En France, les études[…] montrent une intensification de la fructification entre le XIe et le XIIIe siècle. Pourtant, selon certains historiens, la reprise ne remonterait qu’au milieu ou à la fin du XIIIe siècle, pour d’autres plutôt au XIVe ou même au XVe siècle »[14]. C’est dans ce contexte de reprise médiévale de l’arboriculture que se situe le traité De plantatione arborum que nous traduisons ici.
Il convient de distinguer le De plantatione arborum de plusieurs œuvres comparables dont les titres sont très proches, s’ils ne sont pas parfaitement homonymes. Nous avons déjà évoqué le Pelzbuch allemand de Godefroid de Franconie, appelé également dans les manuscrits de la version latine De plantatione arborum, ou Abbreviatio Palladii. On connaît de ce traité 109 témoins manuscrits en diverses langues[15], accumulés dans les listes fournies par G. Eis (17 manuscrits), S. Kiewisch (38), W.L. Braekman et M. Giese[16] ; cette dernière apporte à la connaissance 71 nouveaux manuscrits, dont il faut soustraire le manuscrit Zeitz, Domherrenbibliothek, 7, dont il est question plus bas et qui contient le De plantatione arborum que nous étudions ici[17]. Un De plantatione arborum et conservatione fructuum a été par ailleurs faussement attribué à Geoffroy de Vinsauf (Galfridus de Vino Salvo) par certains historiens[18]. Il s’agit en réalité de la version latine du Pelzbuch lui-même, comme l’a indiqué D.G. Cylkowski[19]. À la même époque, Nicolas Bollard, moine bénédictin flamand, a rédigé à Avignon en 1334 un De modo plantandi arbores qui accompagne souvent dans les manuscrits anglais l’œuvre de Godefroid de Franconie, et a été bien étudié dans la dissertation doctorale de S. Kiewisch[20].
S. Kiewisch a également étudié un autre Opusculum de plantationibus arborum anonyme composé à l’abbaye de Tegernsee, dont les propos sont similaires au traité que nous traduisons ci-dessous[21]. Trois parties y sont à distinguer : la première section traite des sols recommandés pour un verger, la deuxième, agrémentée de schémas, des méthodes de plantation ainsi que des soins à apporter aux arbres en cas de maladie et la troisième traite de la vigne et du vin[22]. Cette dernière partie se rapproche de la traduction des Geoponica par Burgundio de Pise. Les contenus des parties respectives ne sont pas uniformes. Dans la deuxième partie, à la suite des soins contre les maladies arboricoles, se trouvent des instructions pour fabriquer un piège à souris ; à la fin de cette même partie, une liste de vingt-quatre arbres et buissons ainsi qu’une courte description est dressée d’après le critère de la propriété diététique ou médicinale de ces plantes[23]. S. Kiewisch distingue deux types de rédaction : celle qui est propre à l’auteur et aux textes autonomes (Die eigenständigen Texte), dont la principale caractéristique est une formulation ennuyeuse, détaillée et utilisant un vocabulaire limité[24]. Ce type de rédaction concerne les deux premières parties du traité ainsi qu’une fraction de la troisième. Elle lui oppose une rédaction fondée sur l’utilisation d’écrits spécialisés (Die lexikalischen Texte), que l’on retrouve surtout dans la troisième partie, sur les vignes et la vinification, ainsi que dans la liste de 24 arbres à la fin de la deuxième partie. L’auteur utilise donc à la fois les auctoritates et son expérience personnelle. Parmi les prédécesseurs qu’il connaît, les deux sources principales sont le considérable Ruralium commodorum de l’italien Pietro de’ Crescenzi, et le Pelzbuch de Godefroid de Franconie, mais d’autres auteurs sont également cités, comme le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré pour ce qui touche à la description des 24 arbres et buissons, et l’antique Columelle, pour la technique d’aménagement d’un verger et les schémas qui s’y rapportent. En outre, les références médicales de Pietro de’ Crescenzi, à savoir Avicenne, Dioscoride, Galien, sont reprises dans l’Opusculum. Enfin, le manuscrit G (Wolfenbüttel, Herzog August-Bibliothek, Cod. Guelf. 60.15. Aug.4°, f. 202r-206r) transmet de surcroît les instructions contre la peste de Mickael Schrick de Puff (1400-1473)[25].
L’essentiel des grandes œuvres arboricoles allemandes se trouve ainsi mentionné, mais de plus modestes opuscules sur la greffe existent encore sous forme manuscrite : on mentionnera un De insitione arborum conservé à Cambridge qui constitue une adaptation anonyme du XVe siècle du De arboribus de Ps.-Columelle et de la version A du Pelzbuch de Godefroid de Franconie[26], un De arboribus et vitibus plantandis copié dans un manuscrit d’Erlangen transcrit entre 1454 et 1480[27], un autre De plantatione arborum à Trèves, rédigé par un Mosellan[28]. À noter un dernier ouvrage dont le titre est latin, De plantatione arborum tractatulus, mais le texte en ancien tchèque, rédigé par un certain Bohunko[29].
On le voit, le Tractatus de plantatione arborum anonyme témoigne, pour la fin du Moyen Âge et les régions germaniques, de cette veine naturaliste nouvelle, expérimentale et pratique, bien représentée. La plus ancienne copie de ce traité latin remonte au deuxième quart du XIVe siècle, une époque qui semble correspondre à celle de sa composition dans une contrée germanique à l’époque de l’activité de Godefroid de Franconie. De même, il serait contemporain de l’activité italienne de Pietro de’ Crescenzi, qui s’est illustré dans le même domaine. Pour éviter les confusions, dans la suite de l’exposé, ce Tractatus de plantatione arborum anonyme qui nous préoccupe sera désigné par Tractatus DPA.
Quatre manuscrits du Tractatus DPA étaient connus de Christian Hünemörder[30], éditeur du texte latin. À ceux-ci, nous avons ajouté un cinquième, conservé dans la bibliothèque du chapitre de Zeitz[31] :
- M1 : München, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 326, f. 90rb-92rb, 2e quart du XIVe siècle. A appartenu au médecin Hartmann Schedel (1440-1514).
- M2 : München, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 18617, f. 172v-173v et 176r-180r, différentes mains, fin XIVe s.-début XVe siècle, originaire du monastère bénédictin de Tegernsee.
- G : Wolfenbüttel, Herzog August-Bibliothek, Cod. Guelf. 60.15. Aug. 4° (cat. 3650), f. 202r-206r, XIVe siècle pour la partie concernée, originaire du monastère bénédictin des Saints Maurice, ses compagnons martyrs et Siméon de Minden, en Westphalie[32].
- P : Città del Vaticano, B.A.V., Pal. lat. 1257, f. 144r-155v, copié pour cette partie à Wrocław en Silésie (Pologne) en 1422.
- E : Zeitz, Stiftsbibliothek, 2° DHB (Domherrenbibliothek), chart. 7, f. 29r-32v, XVe siècle, écrit de plusieurs mains allemandes et provenant de la bibliothèque des chanoines cathédraux[33].
Au De plantatione arborum a été associé, dès le début de sa diffusion, le nom du grand dominicain naturaliste du XIIIe siècle Albert le Grand. Deux témoins manuscrits sur les cinq mettent en parallèle l’œuvre et le célèbre dominicain ; dans celui de Zeitz, la mention est claire dans l’explicit, tandis que le manuscrit de Wolfenbüttel fait seulement cohabiter le De plantatione arborum et d’autres œuvres naturalistes attribuées à Albert le Grand, comme le De virtutibus herbarum, lapidum et animalium. On reconnaît à un auteur célèbre la paternité d’un traité afin que ce dernier bénéficie de sa célébrité lors de sa diffusion ; cet argument de M. Giese permet d’expliquer cette attribution de la même manière que celle de la branche anonyme du Pelzbuch au maître dominicain[34]. L’hypothèse de la rédaction de ce traité par un disciple, proche ou lointain, d’Albert le Grand n’est pas à écarter a priori, de par la proximité des sujets traités, la date de rédaction qui pourrait se situer peu de temps après le floruit du doctor universalis, et le lieu de composition du traité qui pourrait être la Rhénanie ou la région de Cologne. En revanche, l’attribution de la rédaction du De plantatione arborum à Thomas de Cantimpré, suggérée par l’insertion de l’œuvre au sein d’une copie composite et incomplète du Liber de natura rerum dans le manuscrit de Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Clm 326[35], est à rejeter. Ce manuscrit contient également la Summa philosophiae de Raoul de Longchamp aux f. 1r-23v et un extrait du Pelzbuch de Godefroid de Franconie aux f. 77ra-78rb.
Si l’identité de l’auteur reste incertaine, la préface de son œuvre nous livre un certain nombre de renseignements à son propos. Nous savons ainsi qu’il vécut dans une communauté régulière, en raison de la mention de ses « frères », à qui il veut transmettre son expérience, dans la première phrase du traité. À la fin de l’introduction se trouve également une formule demandant aux frères d’être attentifs à son enseignement. Dans le commentaire qui suit la traduction ci-dessous, nous aurons l’occasion d’examiner les indications de lieu qui peuvent être révélatrices de l’origine géographique de son auteur. Les localités citées appartiennent principalement au nord-ouest de l’espace germanique. Ainsi, les copistes de quatre manuscrits sur cinq nomment au chapitre 13 une rivière nommée Vippera, à identifier avec la Wipper/Wupper qui coule en Rhénanie du Nord-Westphalie et se jette dans le Rhin près de Leverkusen, à 10 kilomètres au nord de Cologne. Le fait que l’auteur connaisse cette rivière incite à penser que son activité se situait à proximité.
Â
Outre des notices dans des dictionnaires et des catalogues de manuscrits, il existe sur ce traité l’édition critique menée par Chr. Hünemörder sur le texte latin, continuée par l’étude assez brève d’une élève de G. Keil et Chr. Hünemörder, S. Kiewisch, sur le contenu et la comparaison avec d’autres traités d’arboriculture[36]. À notre tour, nous proposons ici une traduction française du traité, accompagnée d’une étude des notions spécifiques qu’il apporte en matière d’arboriculture pratique et en particulier de greffe.
Â
Traduction françaiseÂ
Â
La présente traduction[37] a été effectuée à partir du texte latin établi par Chr. Hünemörder. Les variantes apportées par le manuscrit de Zeitz n’ont pas modifié la trame narrative. Certains termes ont résisté à la traduction ou méritent une attention particulière et sont indiqués en italiques dans le texte, de même que les termes remarquables, en particulier les vocables en moyen-allemand. D’autres donnent lieu à des renvois en note, pour des éléments d’identification nécessaires. Certains d’entre eux font l’objet d’une explication particulière à la fin de cette contribution.
Â
Dans les notes accompagnant la traduction, nous renvoyons via des abréviations aux ouvrages suivants :
Dalechamps : J. Dalechamps, Histoire générale des plantes, Lyon, 1615.
Graff : E.G. Graff, Althochdeutscher Sprachschatz oder Wörterbuch der althochdeutschen Sprache, Hildesheim, 1963.
Schützeichel : R. Schützeichel, Althochdeutsches Wörterbuch, Tübingen, 1989.
Lasch : A. Lasch, C. Borchling, Mittelniederdeutsches Handwörterbuch, Münster, t. 2, 1987.
Lübben-Schiller : A. Lübben, K.C. Schiller, Mittelniederdeutsches Handwörterbuch, Darmstadt, 1965.
Oesterley : H. Oesterley, Historisch-geographisches Wörterbuch des deutschen Mittelalters, Gotha, 1883.
Wartburg : W. von Wartburg, Französisches Etymologisches Wörterbuch, Basel, 1969.
Grimm : J. Grimm, Deutsches Wörterbuch, Leipzig, 1854-1960.
Lexer : M. Lexer, Mittelhochdeutsches Taschenwörterbuch, Stuttgart, 1963.
Stannard : J. Stannard, « Identification of the Plants described by Albertus Magnus De vegetabilibus lib. VI », in Res Publica Litterarum, 2, 1979, p. 281-318.
Daems : W.F. Daems, Nomina simplicium medicinarum ex synonymariis medii aevi collecta : Semantische Untersuchungen zum Fachwortschatz hoch- und spätmittelalterlicher Drogenkunde, Leiden, 1993.
Kiewisch : S. Kiewisch, Obstbau und Kellerei in lateinischen Fachprosaschriften des 14. und 15. Jahrhunderts, Würzburg, 1995.
Â
Traité sur la plantation des arbres
Â
           À la demande des frères, abordons au nom de Seigneur un traité bref et utile en priant humblement qu’on ne fasse pas attention à la rusticité nue des termes, mais à l’utilité future. Nous savons que ceux qui ont consacré leur activité à décrire les choses naturelles en recueilleront les fruits et découvriront des choses plus grandes et plus utiles que nous ne comprendrions ou n’apprendrions par la pratique. Dans la nature des choses beaucoup d’éléments sont cachés, que la nature même enseigne, mais s'il y a certaines choses que l’on apprend des histoires relatées, on en apprend beaucoup la nature aidant. Donc, nos très chers frères et nouveaux disciples de notre enseignement, examinez les chapitres notés ci-dessous, et ceux-ci vous instruiront plus pleinement des choses (dont vous n’avez pas pu être instruits dans la préface)[38].
           I La plantation des arbres ; II Le lieu de la plantation ; III Le moment de la plantation ; IV L’arrosage de la plantation ; V Le ramassage des boutures ; VI La conservation des greffes ; VII Le moment de la greffe ; VIII Ne pas se préoccuper de l’éclipse et ne pas observer la lunaison ; IX L’opération de greffage et l’observation ; X La greffe-même ; XI Les soins des arbres greffés ; XII La transplantation ; (XIII La greffe des cerisiers et des pruniers ; XIV Les graines de poiriers et des pommiers ; XV Quand peut-on cultiver les semences ; XVI La culture des noyers ; XVII Le séchage des noix ; XVIII Pour créer des vergers en peu de temps ; XIX La conservation de fruits durables ; XX Ce qu’il est utile de considérer dans les fruits ; XXI Les noms des pommes durables ; XXII Les noms des poires durables ; XXIII Ce qui croît sans racine ; XXIV La nature du fumier) ; (XXV Les maladies des arbres et leurs remèdes ; XXVI Les arbres qu’on appelle utiles)[39].
           Les arbres sont utiles, nous le savons, selon le fruit qu’ils donnent, à savoir la vigne, le pommier, le poirier, le noyer. D’aucuns disent de la vigne qu’elle n’est pas un arbre, mais du genre herbacé. Qu’à cela répondent ceux qui veulent se consacrer aux disputes. Quant à nous, nous disons que la vigne fructifie par la culture, a une saveur selon la nature de la terre et ne peut pas être semée. Il y a beaucoup de genres de vigne, mais nous en retenons deux, le « franc » (francum, franconicum)[40] et le « hunnique » (heunisch)[41], que les Français appellent geos[42]. Coupe donc le hunnique à une profondeur d’une paume sous la terre et plante le sarment du franc en le recouvrant de terre et vice versa, et le deuxième sarment planté aura du fruit. On dit que la vigne poussant à partir de grains de raisin ne fructifie pas, alors que nous, nous disons que nous avons vu une telle vigne et avons bu de son vin. Nous laissons toutes les autres choses sur la taille, le désherbage et la pousse des vignes à ceux qui les connaissent davantage.
           Nous appelons pommiers les arbres porteurs de pommes de n’importe quel genre ou saveur, bien que ce nom de pomme soit général à n’importe quel fruit, comme l’affirment ceux qui disent que « notre premier père a mangé de la figue ou du raisin ». Nous nommons poirier l’arbre qui fait des poires, qui, bien que, selon leur genre, elles puissent être appelées pommes, diffèrent par le goût et la forme, comme c’est le cas pour un genre de légume. Quelle que soit la façon dont on les nomme, elles diffèrent cependant plus par leur forme que par leur goût. Ces deux espèces d’arbres croissent à partir de graines qui leurs sont propres, mais elles ne conservent jamais la noblesse originelle de leurs fruits (excepté par la greffe. Et il faut savoir que la qualité et la quantité seront en fonction du genre de la bouture)[43]. Nous nous sommes proposé de parler principalement de ces quatre espèces d’arbres : de la vigne, du pommier, du poirier et du noyer, mais même si nous présenterons en dernier le noyer, nous le considérons comme premier pour les pauvres du fait que nucz[44] veut dire utilité dans notre langue. On dit en effet nuczbaum, nucz : utilité, baum : arbre. Ainsi donc il est propre aux pauvres, car son utilité leur est nécessaire. Que les pauvres s’efforcent donc d’avoir un noyer. C’est que le noyer fournit de l’huile et du lait comestible et qu’il nourrit. Il produit aussi un feu, fumeux tout d’abord, mais ensuite chaud et très lumineux. (C’est pourquoi l’on raconte qu’il avait été décidé dans une cour de justice de ne pas vendre de bois à quelqu'un qui avait perdu la faveur de l’empereur, et que celui-ci se servit de noix en guise de bois et ainsi devenu célèbre il gagna la faveur des gens du commun et obtint la grâce de l’empereur)[45]. La noix bien séchée produit d’autant plus d’huile qu’elle est plus vieille. (Nous dirons ensuite le reste sur le noyer)[46].
Â
Chapitre premier : La plantation des arbres
           Ce que nous voulons planter, nous devons essayer de l’arracher avec les racines. Là où tu veux le mettre, tu creuseras selon la qualité de la terre : si elle est bonne, jusqu’à deux pieds de profondeur et de largeur ; si elle est stérile, jusqu’à un pied et demi. Que cette fosse soit assez haute sur les bords supérieurs, plus en pente tout autour de l’arbre (à la mesure d’une paume)[47] à cause de la pluie, pour que les racines descendent dans l’axe du tronc. On peut remédier à la stérilité de la terre en creusant des fossés grands et plus profonds et en répandant du bon fumier, c’est-à -dire une terre fumée, l’année précédant la plantation et en le mélangeant bien avec la terre du fossé. On engraissera ainsi une terre stérile et l’arbre qui sera planté aura des bourgeons.
Â
Chapitre deux : Le lieu de la plantation
           Le lieu de plantation doit être ouvert et plat, orienté au sud si c’est possible, car du sud vient un vent humide, de la pluie féconde, le soleil et la lune en temps opportun. C’est pourquoi on peut voir que les jeunes arbres ne peuvent assurément que peu fructifier s’ils se trouvent sous de vieux arbres, denses et grands, car ils sont étouffés par eux. C’est que ces derniers accaparent l’air qui nourrit toutes les cultures. En effet l’air élève la plante vers le haut et lui donne forme, la pluie l’imprègne et la vivifie, le soleil la tempère et la réchauffe.
Â
Chapitre trois : Le moment de la plantation
           Après le milieu de l’automne, on peut planter toutes sortes d’arbres excepté ceux qui ne peuvent supporter l’âpreté excessive de l’hiver, à cause de leur tendreté ou de la nature épaisse de leur sève. Planter un noyer n’est pas possible en cette saison, car il gèle facilement. Les arbres champêtres greffés au printemps ne peuvent être plantés en automne et les vignes ne peuvent être coupées en été, si l’été et l’automne ont été secs. En mars, tous peuvent être plantés sans risque et les troncs champêtres peuvent être plantés et greffés jusqu’au premier mai.
Â
Chapitre quatre : L’arrosage de la plantation
           Toute nouvelle plantation doit être arrosée, si elle est sèche. Il est utile d’arroser même s’il pleut. Comme le dit Grégoire, lorsque nous plantons des arbustes, nous les arrosons jusqu’à ce que nous nous apercevions qu’ils se sont bien enracinés dans la terre [Grégoire le Grand, Homiliae in evangelia, II, Hom. 29, par. 4]. On voit que la reprise est parfaitement réussie lorsque la pousse produit de petites brindilles vertes (En effet souvent les arbustes en reprise sont gâchés alors qu’ils présentent des feuilles jaunies et en décomposition)[48]. En automne, il est bon d’arroser aussitôt que l’on a planté. Ensuite tous les huit jours s’il ne pleut pas, de la même manière au printemps. En mai, juin, juillet et août tous les quatre jours et également au printemps s’il ne pleut pas, mais cet arrosage doit se faire selon la situation du lieu, l’aridité et l’humidité de la terre.
Â
Chapitre cinq : Le ramassage des boutures                                                                                  Â
           Les branches et boutures doivent être prélevées aussitôt après l’automne. Elles se conservent ensuite jusqu’au premier avril. Si elles ont été prélevées auparavant, elles dureront plus longtemps si elles sont conservées.
Â
Chapitre six : La conservation des greffes
           Aussitôt que les greffes sont cueillies, la majeure partie doit être couverte de terre grasse, et elles doivent être enveloppées ensemble dans une motte et enterrées dans la terre, de sorte qu’une petite partie ne dépasse qu’un peu. À l’arrivée du gel, que du fumier soit placé par dessus, afin qu’elles ne gèlent pas ; qu’après le gel, le fumier soit retiré. Si elles doivent être transportées au loin, que cela soit dans des sacs [manticis] ou des corbeilles [cistarciis] faites en cuir de bœuf. Qu’on prenne alors de la terre humide et, après avoir déposé les boutures dans cette terre et les avoir bien entourées de linges, afin de retenir la terre, qu’on les place dans des sacs ou des paniers pour les conserver. Mais il faut prendre garde que les boutures ne se réchauffent pas dans les sacs, pendant qu’elles sont transportées, à cause du tissu qui les recouvre. Ainsi elles peuvent ensuite être conservées pendant 14 jours, et s’il faut le faire plus longtemps, elles doivent être à nouveau arrosées dans une terre récente. Ainsi, si c’est nécessaire, elles peuvent être conservées pendant six mois et greffées. Que celui qui greffe fasse pourtant attention, s’il veut greffer avant mars et avril, à le faire par temps humide et pluvieux et à arroser continuellement les racines matin et soir ; que le sommet de la bouture soit humidifié et qu’on lui procure, si c’est possible, de l’ombre grâce à de jeunes branches aux feuilles vertes. Il faut savoir que la greffe ou la bouture plutôt âgée croît plus souvent dans une motte bien verte que la jeune bouture pleine de moiteur, car ayant soif et trouvant du liquide, elle le boit avidement. La bouture qui a soif boit la sève et croît immédiatement. Qu’ils apprennent donc, les nobles qui affirment qu’ils ne peuvent pas avoir de fruits ; qu’ils fassent comme cet écrit l’enseigne, et ils en auront très facilement en faisant attention à ce qui est dit : un travail acharné vient à bout de tout [Virgile, Géorgiques, I, v. 145].
Â
Chapitre sept : Le moment de la greffe
           Le bon moment de la greffe va du premier mars jusqu’au premier avril pour les boutures fraîchement coupées. La période du premier avril au premier mai est la meilleure pour les boutures coupées depuis longtemps. (De même, plus le tronc sur lequel on greffe est coupé près de la terre, mieux et plus haut l’arbre croît et porte des fruits plus grands et meilleurs)[49].
Â
Chapitre huit : Ne pas se préoccuper de l’éclipse
           Cependant, comme il a été dit, on peut même greffer ensuite jusqu’au premier août de la même manière. Il a très souvent été dit qu’il ne faut pas observer ni faire attention aux éclipses et aux lunaisons, car elles ne peuvent ni nuire ni affecter. Paul dit [1 Cor. 3,7] : Ce n’est pas celui qui plante qui est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu qui donne la croissance.
Â
Chapitre neuf : L’opération de greffage et l’observation
           L’opération de greffage ne peut pas être expliquée aussi bien par des mots qu’on peut l’apprendre facilement par la vue. Qu’ils regardent donc ceux qui veulent apprendre, et qu’ils agissent selon ce qu’ils ont vu.
Â
Chapitre dix : La greffe elle-même
           On doit aplanir le tronc à greffer dans la partie supérieure. S’il est grand, greffez-le entre l’écorce et le bois ; s’il est petit, il convient de faire une entaille depuis la moelle et de mettre la bouture dans la coupure ; s’il est très petit, seulement une greffe ; s’il est moyen, deux greffes. On doit lier des bouts de saule et de liège [suber] en commençant par les parties inférieures des greffes fixées et en allant vers le haut, en mettant autour de la terre ou de l’argile ou une motte de gazon ou autre chose qui puisse repousser l’eau afin qu’elle ne pénètre pas dans les entailles. En effet, si l’eau pénétrait dans les entailles, elle rendrait l’arbre creux, et un tel arbre ne pourrait pas durer.
Â
Chapitre onze : Les soins des arbres greffés
           Le tronc, qui a été fraîchement greffé, doit être protégé pour que les greffes ne soient pas arrachées par un accident ou autre chose, et doit être surveillé continuellement. Et tout ce qui sort du tronc même, de la cime à la terre, doit être élagué aussitôt. Si on observe cela attentivement, la sève et la vigueur tendent vers le haut. (Lorsque la greffe rompue par en-dessous est conservée, les boutures aussi reprennent. Qu’on n’ôte rien aux boutures au moment de la greffe-même, à moins qu’elles ne pullulent)[50]. L’année suivante à la fin février, tranche tous les rameaux superflus. Ils sont superflus lorsqu’ils luttent en poussant les uns contre les autres. De même il faut savoir que si les arbres ne sont pas protégés dans leur jeunesse et façonnés par l’amputation des rameaux superflus, ils feront des fruits difformes (et s’affaibliront plus vite)[51].
Â
Chapitre douze : La transplantation
           Quand tu seras sur le point de transplanter ce que tu as greffé dans un lieu apte [chap. 2] et propice [chap. 10 et 11], comme il a été dit plus haut, tu fumeras bien le lieu et tu le laboureras en juin ou en juillet deux ou trois fois, si c’est nécessaire. Au début d’août, tu feras des fossés distants de 12 pas. Après le milieu de l’automne, tu déracineras avec soin les arbres avec les racines complètes, du mieux que tu pourras. Tu les planteras, après avoir étalé les racines partout dans la fosse, pour que nulle racine ne s’étende sur une autre et qu’elles ne se recourbent pas non plus, autant qu’il est possible d’y veiller. Ainsi, ayant bien mis par-dessus de la terre, il faut la fouler fortement sur le sommet et il faut attacher l’arbre convenablement avec de l’écorce, pour qu’il puisse mieux supporter le vent et ne penche pas. S’il est incliné, l’arbre se déplace de son lieu initial et le mouvement continuel empêche la reprise. Et il faut veiller scrupuleusement à ne faire la transplantation que si le tronc pousse bien là où il a été greffé[52]. Si la transplantation est inévitable, il faut l’entourer par une motte de fumier récent de bœuf. Et tu feras ainsi pour la cicatrice de n’importe quel arbre, quand ce sera nécessaire. De même l’arbre à transplanter doit être marqué avant la transplantation et être déposé, si cela est possible, dans sa position initiale. Toute transplantation d’arbres est meilleure en automne qu’en mars, car en automne le gel ne gêne pas autant les arbres transplantés que certains le pensent.
Â
Chapitre treize : La greffe des cerisiers et des pruniers
           Le cerisier ou le prunier peuvent être greffés au milieu de février s’il n’y a pas eu de gel. S’il y a du gel, greffer aussitôt que le gel aura cessé. Il y a en effet des cerises que l’on appelle bockusen[53], grosses, douces, qui mûrissent en premier, que l’on trouve dans l’évêché de Mayence [var. Cologne ; dans le duché de Brunswick[54]], près du torrent que l’on appelle Vippera [var. G : Laena][55]. Le prunier peut être greffé à la fin mars et, auparavant, de nombreuses autres espèces peuvent être aussi greffées. Il y a de nombreuses méthodes de greffe, comme nous l’avons entendu dire, mais nous recommandons plutôt de suivre celles qui servent l’utilité plutôt que celles qui satisfont la curiosité : par exemple les pommes ou les poires sont greffées sur des saules, des ormes ou des troncs de chou [maguderibus]. Et il faut savoir que les greffes de cette sorte, si elles réussissent, tirent leur saveur du tronc tout en enlevant au greffon sa noblesse, afin qu’il soit montré que la curiosité, avec la coopération de la nature, donne quelque résultat, mais peu de profit. Imitons donc les choses naturelles parce qu’elles sont communes et bien connues. Le poirier se greffe sur le pommier et reprend mais ne donne que rarement ou jamais de fruits. Le pommier se greffe sur le poirier et reprend et donne un excellent fruit, mais non durable. Un tel fruit s’appelle berkappele[56], c’est-à -dire poire-pomme.
Â
Chapitre quatorze : Les graines de poiriers et des pommiers
           Rassemble les graines de poires ou de pommes lorsque tu manges le fruit, et entrepose-les là où elles ne germeront ni ne se dessécheront trop. Lorsque le gel aura cessé, dépose-les en février ou en mars dans un lieu riche doté d’un air propice. Quand elles auront crû à la mesure d’un roseau, greffe-les le mois d’avril suivant de cette manière : la greffe sera d’une taille régulière, quand tu couperas un petit peu le tronc au milieu ; tu aplatiras la greffe des deux côtés ; tu l’enfonceras dans l’entaille en l’attachant légèrement pour qu’ils s’adaptent l’un à l’autre et après avoir disposé autour de la cire molle, tu l’attacheras avec un fil très court, de sorte que le fil s’imprime sur la cire. Lorsque tu verras que la reprise est réussie, coupe aussitôt le fil pour que la greffe puisse croître.
Â
Chapitre quinze : Quand peut-on cultiver les semences
           Lorsque les graines semées croissent, selon que tu vois augmenter la solidité du bois, les feuilles proches de la terre doivent être arrachées de telle sorte que l’arrachage se fasse vers la terre, en prenant soin que les feuilles qui se trouvent encore sur le tronc tendre soient préservées, jusqu’à ce que ce tronc frêle s’endurcisse et devienne bois. Ce qui est mis en terre de la sorte et conservé peut être greffé au cours de la première année. Les arbres de cette sorte croissent vite, seront solides et donneront des fruits durables, à condition pourtant qu’ils soient conservés, comme il a été dit plus haut sur la conservation [chap. 11]. Les noyaux semés dans un lieu aride et sans air ne croissent pas.
Â
Chapitre seize : La culture des noyers
           Choisis des noix à gros cerneaux, c’est-à -dire remplies du cerneau, à la coque fragile, d’une densité signe de fécondité [hiroferaces] (pour ainsi dire). En automne, lorsqu’on les fait tomber pour éviter l’amertume générée par les feuilles, dispose-les sans leurs feuilles ou avec leurs feuilles en les plantant à distance l’une de l’autre d’une demie-paume dans une terre riche et aérée. Presque à la fin du mois de mars suivant, tu couperas tous les petits bourgeons sauf deux ou trois au sommet, s’ils n’ont pas gelé, et cela avec beaucoup de précision pour ne pas blesser le tronc. En outre, à la mi-mai ou après, tu examineras les petits bourgeons, et si le plus élevé se porte mieux que ceux d’en bas, garde celui qui est plus vigoureux et coupe les autres parties. Lorsque celui-ci s’endurcira en bois, coupe ce qui est difforme. À la mi-mars coupe de nouveau les petits bourgeons superflus, comme il a été dit, jusqu’à ce que l’arbre pousse en hauteur. Et veille à ce que le noyer à transplanter soit d’une telle grandeur qu’il puisse bien supporter l’inconfort et que la hauteur, de la terre jusqu’aux premières branches, soit de la stature de l’homme, pour que les animaux ne puissent pas se blesser aux branches et les porcs aux racines. Plus ils sont protégés avec attention, plus vite ils croissent et produisent des fruits. Voici une autre manière de faire la même chose : si quelqu'un veut obtenir en cinq ou six ans un grand noyer, qu’il le plante l’année suivante de la première plantation dans une gouttière ; il fera un fossé long et peu profond ; qu’il courbe la racine dans la fosse en la disposant à la manière d’un navet et en ajoutant de la terre, qu’il l’ensevelisse et qu’il redresse le noyer, car il penche à cause de la racine qui est recourbée. Après l’année de sa plantation, sa croissance est un peu perturbée et il grandit peu, l’année suivante il se développe beaucoup et la troisième année encore plus. Au bout de la troisième année, il peut être planté, après la cinquième il peut l’être encore mieux, comme après la sixième. S’ils sont plantés dans des endroits éloignés d’un champ, ils seront grands et larges et font de meilleurs fruits et ne nuisent pas beaucoup aux semailles. Par contre s’ils se retrouvent à proximité, ils envahissent les semailles et les réduisent à néant.
Â
Chapitre dix-sept : Le séchage des noix
           Tu feras simplement des claies ajourées avec des verges lisses et tu les poseras là où tu peux faire du feu en-dessous. Place les noix dépouillées de leurs feuilles sur les claies, et quand cela te semblera bon, allume le feu et tu les sècheras le temps qu’il faut pour qu’elles soient bien sèches. Ensuite, lorsqu’elles sont refroidies, pose-les dans des outres, à l’abri du vent. Les noix ainsi dépouillées et séchées sont meilleures pour faire de l’huile plus claire, mais en moindre quantité.
Â
Chapitre dix-huit : Pour faire pousser des vergers en peu de temps
           Là où il y a eu un jardin depuis longtemps, tu planteras les arbres qui ont été greffés et qui ont repris, comme il a été dit plus haut [chap. 14]. Après le milieu de l’automne ou à la fin, tu réserveras tout autour de chaque plant un espace, de sorte qu’ils soient distants les uns des autres de douze pas ou onze et au minimum de dix selon la surface du lieu. Cela ne nuit pas beaucoup aux légumes, pour autant que la densité des arbres ne leur fasse de l’ombre. Il faut cependant veiller avec le plus grand soin, lorsque l’on bêche un jardin, à ne pas abîmer les racines des arbres, car une blessure répétée aux racines fait s’assécher l’arbre. Et il faut noter que dans l’arbre à transplanter, toutes les branches ne peuvent pas être conservées, mais la quantité de branches sera en fonction du nombre et de l’intégrité des racines. Le verger ainsi fait fructifie vite et fait des arbres larges et grands, mais une densité excessive doit leur être tout à fait évitée, comme (nous l’avons dit)[57] plus haut, à propos de la conservation [chap. 11]. Voici une autre manière de faire : tu planteras les troncs agrestes tant de poiriers que de pommiers, soit en automne soit en mars, dans le jardin potager et après un an de croissance, tu les grefferas en leur temps. Observe la distance [chap. 18] et la conservation [chap. 11] et tout ce qui a été dit, et en peu de temps tu auras un verger plus tôt et plus rapidement même que ce qui a été dit au premier chapitre [chap. 1].
Â
Chapitre dix-neuf : La conservation des fruits durables
           On doit ramasser sur l’arbre, à l’automne et à la main, les fruits durables à conserver pour l’année. En effet on ne doit pas les faire tomber ou les secouer, comme plusieurs en ont l’habitude ; [on ne doit pas les ramasser] non plus par temps pluvieux, mais en temps serein et sec, et pas à la troisième heure à cause de la rosée et de la pluie. En effet un temps sec ou serein est bon pour la récolte, si on doit conserver ce qu’on récolte. Une fois que les fruits ont été ramassés, qu’ils soient placés là où ils ont de l’air mais ni vent ni gel (là où le gel ne peut pas accéder)[58]. Certains posent les fruits dans du foin, d’autres dans de la paille, d’autres dans des celliers, sur des claies avec un peu de foin au-dessus, et c’est la meilleure solution. Et il faut savoir que la main nue, lavée ou non lavée, nuit aux fruits qui doivent être conservés s’ils sont touchés trop souvent, c’est pourquoi certains ont des truelles en bois (c’est-à -dire un kyssent)[59], grâce auxquelles ils tirent, détachent et récupèrent leurs fruits. Jamais ils ne les touchent de la main après la cueillette, excepté quand ils sont destinés à être mangés.
Â
Chapitre vingt : Ce qu’il est utile de considérer dans les fruits
           Qui que tu sois, qui tends au provignement[60] des fruits, tu dois être attentif à cela dans les fruits : le goût, le caractère durable, la quantité ; et si tu es diligent, l’odeur, la couleur, la beauté. Les élagueurs expérimentés discernent les fruits à la couleur, à l’odeur, au goût. C’est par le goût que nous estimons le caractère durable. Si dans un fruit tu trouves ces six caractères : goût, durabilité, grosseur, odeur, couleur, beauté, estime-le parfait. Tu les trouveras cependant rarement. Suffisent donc un bon goût, une durabilité convenable et une taille modérée.
Â
Chapitre vingt et un : Les noms des pommes durables
           Les noms des pommes durables sont : Sybolding[61], Suring[62], Gronling[63], Godehardek[64], Sudehardek[65], mais celles-ci sont petites ; les Neteling[66] et celles-ci sont belles, durables et goûteuses et fertiles. Tu trouveras partout la Sybolding ; la Godehardek et la Suring en Westphalie ; (la Merline[67] en Saxe ; la Pansebergh[68] à Schwerin[69]) ; la Godeharding à Hildesheim [Hildensem] Kalenberg [Katenberg][70] ; la Suring à Homburg. Tu trouveras la Neteling dans l’évêché de Minden.
Â
Chapitre vingt deux : Les noms des poires durables
           Peu de noms de poires durables nous sont connus, mais ce qui se recommande le plus c’est la diversité des terres, des villages ou des châteaux, tant en ce qui concerne les fruits que dans les autres choses, au sujet desquelles nous suivons la coutume davantage que la raison. Cependant nous trouvons trois espèces que nous considérons les meilleures : les poires communes qui se trouvent partout, mais qui ont un bon jus, sont bonnes et durables, et sont grenues, c’est le cas de la stenich[71]. Les poires d’Angoisse[72] en France sont durables : l’arbre donne beaucoup de fruits, bonnes crues, meilleures cuites, excellentes rôties. Les poires pokhusech sont durables[73], [l’arbre] donne beaucoup de fruit, elles ont bon goût, sont bonnes crues, meilleures cuites, excellentes rôties. Pendant le Carême, on trouve d’excellentes poires crues en Saxe, mais pas à Homburg.
Â
Chapitre vingt trois : Ce qui reprend sans racine
           Voici les noms de plantes qui croissent sans racine : le palmier dattier [palmes], le mûrier [morus], le sureau [sambucus] (c’est-à -dire le sperebaum)[74], le circius[75] (c’est-à -dire le cuctelenbaum)[76], le buis, le frêne, le saule, les jeunes saules [salimenta][77], le peuplier, le samborius [var. sarborius/sambuca][78], l’olivier, la sauge, la rue, l’hysope, l’absinthe, l’aurone, et de nombreuses autres reprennent sans racines et poussent. Le mûrier croît sans racine dans une terre grasse, s’il est fréquemment irrigué, de la même manière que le buis, le samborius, le circius, le cognassier [coctanus][79] (c’est-à -dire le quittenbaum)[80], et le néflier d’Allemagne [escalus][81] (c’est-à -dire le mespelbaum[82] qui pousse même sans racine)[83].
           Le saule et les jeunes saules poussent dans des lieux toujours humides. Le saule est utile pour attacher et lier des sarments et d’autres choses. Les jeunes saules conviennent bien pour construire des haies. Donc si tu veux avoir un jardin de saules ou de jeunes saules, tu creuseras profondément des sillons dans un endroit. Prends alors des saules et de très petits saules, coupe-les à la hache bipenne [bipenni] ou à la petite hache [securi] en tout petits morceaux et sème et ratisse (Ceci manque ici[84] : là où le saule a été semé, il poussera, et là où tu as semé des petits saules, il en poussera, et ainsi tu auras ce que tu veux)[85] et pousseront des saules autant que des jeunes saules.
Â
Chapitre vingt quatre : La nature du fumier
           Le fumier est la chose la plus efficace pour que croisse ce qui a été semé et planté, à l’exception de ces principaux éléments efficients, grâce auxquels tout croît et fructifie (selon cet ordre)[86] : l’air, le soleil, la terre, la pluie et la rosée. Donc nombreuses sont les espèces de fumier. Le fumier de bovins et de moutons vaut pour tout (mais le fumier des hommes ne vaut rien, excepté s’il est longtemps exposé à l’air, pour ainsi dire ramené à l’état de terre, il peut être valable pour les noyers et les jardins potagers)[87]. L’amandier ne peut supporter aucun fumier ni une terre salée. Le fumier de porc fait fuir les souris. (Le fumier des oies fait des hièbles [ebulos][88] et le fumier de paon fait fuir les serpents)[89]. Le fumier des poulets fait blanchir les vêtements au lavage. (Le fumier de chèvre est maigre, mais placé sur les vignes il donne au vin un goût particulier, qui pourrait être apprécié. Demande à de fins buveurs de vin et ceux-ci te l’expliqueront plus en détail)[90]. Le fumier des chevaux vaut là où l’on doit placer la porrée, l’oignon et le melon [pepones]. De telles plantes demandent une terre grasse et de l’air libre, un sarclage régulier, c’est-à -dire de déraciner régulièrement les herbes inutiles.
           (Le présent opuscule exigeait beaucoup d’autres choses et beaucoup d’autres choses auraient pu être dites, tant rares qu’utiles, mais pour ne pas créer l’ennui chez le lecteur ou l’auditeur, nous nous arrêtons ici)[91].
Â
Chapitre vingt cinq : Les maladies des arbres et leurs remèdes
           Il y a une maladie des arbres qui, en s’insinuant tel un cancer, assèche les branches qu’elle a touchées. Elle naît en effet dans l’écorce du poirier ou du pommier de cette manière : l’écorce noircit et s’assèche. Aussitôt, lorsque tu trouves cette tache noire, tu dois enlever l’écorce en train de noircir ainsi et de se dessécher avec un couteau bien aiguisé, pour qu’il ne reste rien de ladite tache. Tu panseras avec du fumier de bœuf ligaturé avec une motte ou avec un morceau d’étoffe et l’arbre guérira.
           Mélange ensemble le fumier frais de bœuf et un tiers de terre, et recouvres-en les blessures des arbres en l’attachant avec une motte, et cela guérira. Pose sur de petites blessures des mottes grandes et moyennes.
           Quant aux arbres que tu auras greffés à la lune de février, c’est-à -dire hornemante[92], les vers ne corrompent pas les fruits de ces arbres. De même, après avoir perforé l’arbre jusqu’à la moelle, et après avoir réduit en poudre la partie extérieure de l’écorce de myrobolan citrin [mirabolani citrini][93], et l’avoir pressée sur cet arbre en obstruant le trou par un clou de bois d’aubépine [hagedornen][94], les vers ne corrompent pas les fruits de ces arbres.
           Quant aux arbres en fleurs ne portant pas de fruits, ils doivent être troués jusqu’à la moelle ; après avoir pris du mercure il faut le mélanger avec de l’argent et l’appliquer sur l’arbre et obstruer le trou par un clou fait de bois d’aubépine, et les arbres seront fertiles.
           Trempe la bouture à greffer dans du sang de brochet ou d’un autre animal ayant le sang pur et greffe-la. Tout fruit croissant sur un tel arbre sera rouge à l’intérieur et à l’extérieur.
Â
Chapitre vingt six (M1)
           Entaille le tronc forestier non greffé jusqu’à la moelle en remontant graduellement, pour que la pluie n’entre pas dans le jeune tronc et le fasse ainsi pourrir. Qu’on entoure bien par une motte, et il portera du fruit et ainsi il sera fertile, mais les fruits ne sont pas aussi bons que si l’arbre avait été greffé. Sur un poirier sont greffés des néfliers [escala] meilleurs que sur l’églantier [hagendorn].
Cet opuscule requérait beaucoup d’autres choses, aussi rares qu’utiles, pourtant arrêtons-nous ici.
Â
Chapitre vingt six (GE) (suite chapitre vingt-cinq M2P)
           Racle l’écorce externe de n’importe quel arbre jusqu’au bois vert. Après le milieu de l’automne, en lune décroissante, que du fumier de bœuf soit mélangé avec un tiers de terre et qu’il soit disposé autour, là où l’arbre aura été raclé. Qu’il soit attaché avec un linge. Au mois de mars suivant, quand c’est le moment de greffer, que la branche entourée par le linge soit coupée et placée dans la terre et elle portera du fruit.
           Mets de l’eau sous les arbres en mars, quand les arbres commencent pour la première fois à fleurir, et continue d’en mettre pendant l’été ; le fruit ne sera pas détruit par le gel.
           Prends du gingembre ou d’autres épices de ton choix, réduis-les en poudre autant que nécessaire, et que cela soit mis dans l’entaille du tronc, là où la bouture doit être greffée. Qu’alors la bouture soit placée. Les fruits de ces arbres tirent leur goût des épices ayant été déposées ici, et ces fruits sont appelés fruits aromatisés. Ou bien on doit diviser l’arbre au milieu, arbre qui aura été greffé longtemps auparavant, et qu’y soient mises des épices à ton gré, comme il a été dit [chap. 26, l. 10-14], et qu’elles soient bien attachées par une motte[95] et des fruits aromatisés croîtront. Ou que l’arbre greffé soit percé jusqu’à la moelle et que l’on place [les épices] au choix. Que le trou soit obstrué par du bois d’aubépine et du fruit aromatisé croîtra.
           L’arbre à transplanter doit être marqué avant la transplantation et être mis comme il était auparavant.
           Les arbres sont à examiner, pour voir s’il s’y attache de la pourriture qui a l’habitude de se développer sur les arbres. Cette pourriture doit être retirée, car elle rend les arbres plus stériles.
           Plus le tronc sur lequel on greffe est coupé à proximité de la terre, plus l’arbre croît grand et haut et porte de plus grands et de meilleurs fruits. Sur le poirier, des néfliers meilleurs que sur l’aubépine sont greffés.
           Entaille un tronc forestier – à savoir n’ayant pas été greffé, c’est-à -dire qui a crû à partir de noyaux – jusqu’à la moelle en remontant graduellement, de sorte que la pluie n’entre pas dans le tronc et qu’il ne pourrisse pas ; entoure-le bien d’une motte – l’arbre portera du fruit, comme s’il avait été greffé. Cela a été dit des fruits n’ayant pas de noyaux à l’intérieur, comme le sont le poirier et le pommier.
           Dans l’aubépine on greffe des néfliers, mais le tronc reste petit et le greffon sera grand. Si tu greffes des néfliers aussi près que tu peux de la racine de l’aubépine, alors les boutures aussi bien que le tronc croissent d’une grandeur égale, et le fruit sera meilleur.
           Que du miel soit appliqué à l’intérieur des arbres qu’on aura percés jusqu’à la moelle. Cela rendra les fruits trop amers tout à fait doux, si le trou est obstrué, comme il a été dit plus haut [chap. 26, l. 17-19]. Que des arbres qui fleurissent ne portent pas de fruit, qu’ils commencent à fructifier tardivement et qu’ils ne fructifient pas chaque année, cela vient entièrement de la greffe en pleine lune et du moment indu de la greffe.
           La terre à déposer autour des arbres à planter ne doit pas être disposée tassée, mais avec légèreté, pour que la pluie puisse mieux descendre à la racine.
           Le cognassier croît dans toute terre : la terre grasse ou non riche, humide ou sèche.
           Plus grand est le noyer transplanté, plus la coquille sera fine et le noyau plus grand, l’arbre plus grand et plus fertile, et il croît mieux dans une terre haute et non humide.
           Que les noyaux durs de tous les arbres soient posés après le milieu de l’automne dans des récipients pleins de terre et ayant des petits trous pour que l’air puisse passer, ou dans des récipients sans terre et avec des trous. Ces récipients doivent être placés profondément dans une terre ou dans des celliers, et du fumier doit les recouvrir à cause du gel. Au mois de mars suivant, lorsqu’il est temps de greffer, que les noyaux soient retirés et déposés dans la terre profondément à demi-pied. La terre doit être déposée légèrement et non de manière comprimée, pour qu’ils puissent croître plus vite. Pour que le pêcher croisse sans noyaux, un saule doit être placé à un pied près du pêcher. Lorsque chacun des deux aura bien grandi, que le saule soit percé et que le pêcher soit amené dans le trou du saule, et laisse ainsi l’un et l’autre croître ensemble. Lorsqu’ils auront bien crû ensemble, coupe le pêcher en-dessous du trou du saule et arrache cette partie du pêcher avec ses racines et jette-la. Et que cette partie du saule qui est au-dessus du trou soit de la même manière coupée et jetée. Le restant croît sous forme d’arbre, et cet arbre, d’après ce qu’on dit, porte un fruit sans noyau. N’y crois pas †mais c’est ainsi†. Il arrive que la même chose se produise avec d’autres arbres.
           Que l’arbre qui ne veut pas bien fructifier soit percé de telle sorte et qu’un clou fait d’aubépine soit enfoncé. Ainsi l’arbre croît, sera plus fertile et porte de bons fruits.
           Toute transplantation d’arbre est meilleure en automne qu’en mars, car en automne le gel ne gêne pas autant les arbres à transplanter que certains le pensent.
           Tous les fruits que tu cueilles en automne, tu dois les cueillir pendant la lune croissante, d’où les vers :
« Pendant la lune croissante souviens-toi de cueillir les fruits,
Mais si elle décroît, tout ce que tu auras cueilli pourrit. » [calendrier de Tegernsee][96]
           Poma, c’est-à -dire tout genre de fruits.
           Pose de l’encens pilé ou réduit en poudre dans l’entaille du tronc là où la bouture doit être greffée, et que la greffe soit placée. Les vers ne rongeront pas les fruits de ces arbres, ou qu’on le fasse avec l’encens pilé ou pulvérisé, comme il a été dit au sujet de l’espèce du myrobolan citrin [mirabolani citrini], et de la même manière les vers ne rongeront pas les fruits de ces arbres[97].
           À propos du changement du poirier en pommier : perce l’arbre jusqu’à la moelle et prends une branche de l’autre arbre et tu en feras un clou, après avoir enlevé l’écorce. Enfonce-le dans le trou jusqu’au bout, et le fruit est changé. Note : si l’arbre était un poirier, le clou sera un pommier et vice versa, et cela se fait en mai à la vigile de Philippe et de Jacques[98].
           Coupe l’arbre champêtre en entier ou bien certaines branches, comme tu le sais. Prends un arbre noble ou des branches nobles et assemble-les avec précision aux branches susdites qui ont été entaillées de manière égale. Attache-les avec un fil solide et dispose autour de la cire molle, pour que la pluie n’entre pas. Ainsi le tronc se rétablit et l’arbre s’ennoblit. Et note qu’un tel arbre et de telles branches doivent avoir des yeux, et après le rétablissement il doit être libéré de ses liens.
           Après la Pentecôte les arbres s’ennoblissent par l’écorce, comme tu le sais. Note qu’une écorce noble doit avoir un œil et elle doit être placée sur un arbre champêtre sans écorce et bien protégée.
           Une plantation noble : prends n’importe quels arbres agrestes, et à la vigile de la Toussaint tu les planteras. En avril prends les branches nobles et entaille-les, comme tu le sais. Place-les sur un arbre champêtre à l’écorce entaillée et entoure-les avec du fumier et de l’argile mélangés ensemble et la plantation se développe.
M² : Amen et voilà pour cette matière.
P : On appelle zaphena (saphène) la veine virginale sous le talon, on appelle nates les veines sous la partie postérieure et on appelle crura les veines au-dessus de la partie postérieure. Fin du petit traité beau et utile Les plantations des arbres terminé aujourd’hui par moi, Gallus.
Â
Commentaire
Â
Le traité traduit ci-dessus est constitué d’un exposé central issu d’une même rédaction, auquel est ajouté un prologue probablement du même auteur, mais aussi quelques additions postérieures, que ce soit sous la forme de chapitres supplémentaires empruntés en grande partie à Godefroid de Franconie et copiés à la fin de l’opuscule à partir du chapitre 25, ou bien des ajouts de détail au cours de l’exposé central (que nous avons fait figurer entre parenthèses).
L’auteur anonyme du traité ambitionnait, « à la demande des frères » d’écrire un traité pratique, à destination de ses « chers frères », « disciples nouveaux de ce savoir », raison qui justifie que ses sources d’inspiration ne soient pas livresques mais se réfèrent à l’expérience personnelle de la rerum natura ou à la mémoire collective. Cela transparaît dans l’ensemble du traité sur la greffe, qui témoigne de l’activité d’un « expert » et en appelle régulièrement à la connaissance du lecteur (ut scis). La visée pratique, quotidienne, est également soulignée dès le prologue par des expressions comme ex relatione aliquantula (qu’on pourrait traduire par « issu d’une petite histoire »), ou via des historiettes exemplaires, comme celle de l’homme qui s’est chauffé de noix après avoir subi l’interdiction par l’empereur de vendre du bois. Cette petite histoire est aussi l’occasion, via un jeu de mots sur l’utilité-la noix-le noyer (Nutzen-Nutz-Nutzenbaum), de vanter l’intérêt du traité pour son public. On note à cet égard que l’étymologie médiévale, depuis Isidore de Séville, rapprochait au contraire le nom du noyer (nux) de nocere, nuire[99]. L’image inversée par l’auteur, privilégiant une étymologie positive, est d’autant plus intéressante qu’elle s’affranchit de la tradition littéraire.
Au chapitre 13 encore, l’auteur fait l’éloge de l’utilité, mais aussi de l’intérêt de la curiosité si elle se développe avec l’aide de la nature. Il assure qu’il rapportera ce qu’on entend et ce qui est connu à propos de la greffe, mais aussi ce qu’il connaît personnellement d’utile et qu’il a appris par l’observation des choses naturelles : Multi modi inserendi sunt, sicut audivimus, set nos tradimus ea pocius observanda, que utilitati serviunt, quam ea, que curiositati : verbi gracia inseruntur poma vel pira salicibus, ulmis vel maguderibus. (…) quia curiositas cooperante natura aliquid efficit, set parum proficit. Imitemur igitur naturalia, quia sunt comunia et nota. La partie dotée d’une rime intérieure, curiositas cooperante … efficit…. proficit constitue l’argument principal de l’auteur, qui pourrait être issu d’un dicton populaire.
Dans cette mesure, seules de rares citations sont tirées d’œuvres antérieures ; elles sont d’ordre moral. La première est de Grégoire le Grand et se trouve au chapitre 4, l. 2-3 : sicut dicit Gregorius, arbusta cum plantemus tamdiu aqua perfundimus quousque ea in terra convaluisse conspicimus. Cet emprunt est tiré de l’Homélie 29 du livre II des Homiliae in evangelia. Une célèbre formule de Virgile vient ensuite au chap. 6, l. 21-22 en conclusion d’une longue tirade sur le dur labeur d’un agriculteur, qui, malgré ses travaux éreintants, parvient à faire ses récoltes (vers 145 du Ier livre des Géorgiques) : Labor improbus omnia vincit ; c’est dans cet esprit que s’accomplit la tâche fastidieuse de la greffe végétale. Plus loin, au chapitre 8, l. 4-5, est avancée une citation de la première épître de Paul aux Corinthiens, 3, 7 : Paulus dicit : Neque qui plantat neque qui rigat, est necesse aliquid, set qui incrementum dat Deus. L’auteur donne par là un exemple intéressant de « littéralisation » d’un verset célèbre, inversant l’habitude des exégètes médiévaux de rechercher un sens spirituel aux paroles de la Bible. Enfin, les deux vers du chapitre 26, l. 73-74 (In lune cremento carpere poma memento, set si decrescit, quod carpseris omne putrescit), sont empruntés à un chapitre tiré en son entier du traité de Godefroid de Franconie. Ce dernier avait lui-même extrait la sentence du calendrier de Tegernsee, dans l’idée de mettre en valeur l’action des astres sur les activités agricoles, alors que l’auteur du De plantatione arborum avançait pour sa part au chapitre huit qu’il ne fallait pas tenir compte des éclipses et de la lunaison.
À aucun moment, l’auteur ne fait mention explicitement de traités naturalistes antérieurs dans sa description des plantes ou des techniques, qu’il s’agisse de traités aristotéliciens, d’encyclopédies naturelles ou de traités botaniques spécialisés. Par ailleurs, son objectif pratique le mène à s’intéresser en priorité à la manière d’obtenir des fruits et de bonifier les arbres fruitiers, plutôt qu’à leur utilisation possible dans la pharmacopée, par exemple ; en conséquence, les points de concordances du Tractatus DPA avec les auteurs médiévaux sont très rares[100]. Seules des idées générales admises par tous se retrouvent dans le De plantatione arborum, comme le caractère nuisible de l’ombre du noyer (mentionné par Isidore de Séville et Barthélemy l’Anglais), ou la finalité de la greffe, à savoir de transmettre la qualité et toutes les vertus d’un arbre au porte-greffe.
Bien ancré dans un terroir, le traité comporte de nombreuses mentions de lieu. Certains d’entre eux peuvent être facilement identifiés, comme les villes de Cologne, Minden, Brunswick, Mayence, tandis que d’autres permettent diverses suppositions. Ainsi, la localité nommée Homborch / Homberch / Homberck (chap. 21 et 22) peut se rapporter à la ville d’Hambourg, selon les dictionnaires d’ancien allemand d’A. Lasch et d’E.G. Graff[101], mais l’auteur ne la désigne pas avec son statut d’archevêché, alors qu’il le fait pour Mayence, Cologne ou Minden. Il existe de nombreuses localités dont les noms sont presque homonymes, et qu’on trouve citées par H. Oesterley[102], ou dans l’atlas de G. Mercator[103] : Homborch près de Saarbrücken ; plusieurs Homberg, dont un proche de Marburg en Hesse, un autre au sud de Kessel, un autre en Bade-Wurtemberg, d’autres en Rhénanie Palatinat, en Bavière, etc. Il existe également un Hombourg en Lorraine, près de Saint-Avold. En fonction de la géographie des autres noms de lieu cités, on peut supposer que Homberch est, dans le Tractatus DPA, situé en Rhénanie.
Le cas de Katenberg / Kakarle(r)ch / Kataborch (chap. 21) permet une hypothèse sur les contrées familières de l’auteur anonyme. H. Oesterley signale un mont appelé « Kattenberg », mais sans précision supplémentaire[104]. Dans le Tractatus DPA, ce nom est accolé à celui de la ville d’Hildesheim ; or, il existe à l’ouest de cette ville une localité appelée Katingen[105], et on trouve également un Kalenberg qui coïncide avec l’ancienne province de Kalenberg en Basse-Saxe, aujourd’hui Kalenberger Land. Les Kalenburger Lössbörde sont situés au sud-ouest de Hanovre, à l’ouest d’Hildesheim, et portent ce nom en raison de la nature du sol de cette région. Par ailleurs, on sait que dès le début du XIIIe siècle, des cycles liturgiques d’origine saxonne et thuringienne inscrivent, comme dans le Tractatus DPA, la pratique de la greffe au mois de mai, que ce soit le Psautier d’Hildesheim ou celui de Sainte Elisabeth[106]. Le Tractatus DPA serait ainsi un témoin du nouveau développement médiéval de cette pratique dans ces contrées après le déclin de l’arboriculture au haut Moyen Âge.
Quant à la localité de Zwerin / Suuerin / Ruuerin (chap. 21), elle renvoie à Schwerin, capitale du Land de Mecklembourg-Poméranie occidentale, à l’Est de Berlin[107].
Enfin, deux rivières sont citées au chapitre 13. L’une est désignée en réalité par le manuscrit le plus ancien (M : München, BSB, Clm 326) comme le « torrent Vippera dans l’évêché de Mayence », et par trois autres manuscrits plus tardifs comme se trouvant in episcopatu Coloniensi. On pourrait considérer qu’il s’agit de la rivière dénommée aujourd’hui Wipper en amont et Wupper en aval ; elle se trouve en Rhénanie du Nord, Westphalie et se jette dans le Rhin au nord de Leverkusen[108], mais cela ne semble pas avoir de rapport avec « l’évêché de Mayence » qui devrait être la leçon la plus ancienne mais peut être une erreur du copiste de M. La Laena est substituée à la Vippera dans le manuscrit de Wolfenbüttel, dont le copiste du XIVe siècle, originaire de Minden en Westphalie, rapproche quant à lui le cours d’eau en question (aquam, et non plus torrentem) du duché de Brunswick[109], autrement dit du duché de « Brunswick-Lüneburg » en Basse-Saxe, dont la capitale est Braunschweig, dans le nord de l’Allemagne, entre Hanovre, Kassel en Hesse et la Prusse. Ce duché se trouvait à l’est de la Principauté d’Hildesheim. Le nom Laena peut désigner plusieurs cours d’eau, en raison de la racine celtique « lan/lon/lun » qui renvoie à un cours d’eau et se retrouve dans de nombreuses appellations. Laena peut désigner la Leine (Lagina, Legana), anciennement la Lan flu, qui coule en Thuringe et en Basse-Saxe, notamment à Gotha et près d’Hildesheim pour se diriger vers le sud[110]. Cette hypothèse est en accord avec la géographie générale du traité, où la Basse-Saxe est mise plusieurs fois en évidence. Elle soulève la question de l’éventuelle antériorité du texte proposé par le manuscrit de Wolfenbüttel (qui parle du duché de Braunschweig), sur celui de Munich (qui parle de l’évêché de Mayence), choisi comme manuscrit de base dans l’édition de Chr. Hünemörder. La correction « Laena » pourrait donc être une sorte d’appropriation géographique du traité par le copiste du manuscrit de Wolfenbüttel. Laena peut aussi être la Lahn, affluent du Rhin qu’elle retrouve au sud de Coblence, après avoir traversé la Hesse sur 200 kilomètres ; cette rivière est appelée au VIIIe siècle par le nom celtique, déjà trouvé chez Tacite, de Logan(aha)[111] , et devient plus tard Laen flu[112]. Le copiste du manuscrit de Wolfenbüttel pouvait penser également à la Lenne, qui se jette dans la Ruhr et se trouve à proximité de Cologne en Rhénanie, dans un bassin distant de 30-40 km de la Wupper.
L’auteur use tantôt du latin, tantôt de la langue vernaculaire pour citer les noms de lieux. Les principales villes, les sièges épiscopaux, ainsi que les régions sont indiquées en latin, langue de l’Église, de la science et de l’administration, tandis que les localités de moindre envergure sont nommées en allemand, soit qu’elles témoignent ainsi d’une connaissance personnelle de l’auteur, soit que leur importance ne soit pas suffisante pour bénéficier d’un nom latin. Ceci est un argument pour voir dans Homborch une petite localité du nom de Homburg plutôt que la grande cité portuaire d’Hambourg.
Â
Dédié à l’arboriculture, le Tractatus DPA renseigne sur diverses espèces végétales. Si la plupart sont identifiables, quelques-unes ne sont pas clairement reconnaissables. Deux cépages de vignes sont cités dans la préface du traité : le francum et l’heunesch (appelé selon le texte geos par les Gallici/Français). Le premier correspond au Limberger, ou Franconien noir en France, un cépage de cuve noir probablement d’origine autrichienne ou allemande, et le deuxième au Heunisch blanc, ou Gouais en France, cépage de cuve blanc très cultivé autrefois en Allemagne.
Par deux fois cité au chapitre 23 parmi les arbustes sans racines, le cirsius pourrait désigner le cornouiller mâle. On trouve chez Pline le cirsion, qui désigne en revanche un chardon[113]. S. Kiewisch a identifié le terme grâce aux synonymes des gloses moyen-allemandes du Tractatus DPA (cuctelenbaum et curlebom) comme le Cornus mas[114], mais il se peut que les gloses renvoient, comme nous l’avons noté, au Kreutzbaum (crucebom/crusebom), c’est-à -dire le ricin, une sorte de figuier dont l’intrusion dans ce traité germanique paraît cependant un peu étrange. De la même manière, une glose vernaculaire précisant un terme latin désigne dans le même chapitre le sureau (ou éventuellement le sorbier), le cognassier et le néflier, respectivement sperebom, quedenbom/quittenbom, mespelbom. La présence de la glose vernaculaire est motivée par le fait que le nom latin esculus peut désigner deux arbres : le néflier, mais également une sorte de chêne, selon Isidore de Séville[115] et Albert le Grand, qui affirme que le mespilus est arbor, quae alio nomine esculus corrupte vocatur[116]. Ainsi Albert le Grand connaissait la double attribution du terme esculus au chêne et au néflier.
On peut s’étonner de ne pas trouver parmi les variétés nommées le châtaignier (castanearius), le noisetier (avellanarius), qui sont des arbres du nord de l’Europe, généralement présents parmi les arbres fruitiers dans la tradition arboricole. La possibilité qu’une de ces variétés corresponde aux termes que nous n’avons pu éclaircir n’est pas à écarter.
Les mirabolani citrini du dernier chapitre peuvent désigner plusieurs espèces de fruits à noyaux de couleur jaune ou orange. Isidore de Séville désigne par ce terme une sorte de datte[117]. Albert le Grand dénombre cinq sortes de Mirabolani[118], dont le mirabolanus citrinus immaturus (Terminalia citrina), une plante de l’est de l’Inde ayant pour fruit à noyau une sorte de prune appelée « myrobolan », longtemps utilisée en pharmacopée sous forme sèche comme purgatif. Selon W.E. von Reizenstein, ce terme désigne également les mirabelles, petites prunes jaunes très sucrées[119], qui font la réputation de la Lorraine ; cependant, les autres dictionnaires ne les identifient pas les uns avec les autres.
Les traductions du terme maguderus, cité au chapitre 13, ne sont pas satisfaisantes. Le dictionnaire de F. Gaffiot donne la définition suivante: « Magudaris et Magydaris, is, f. : sorte de laserpitium [férule] », une herbacée proche de la famille des férules, et renvoie ensuite à Pline, Histoire naturelle, XIX, 45[120]. B. Parr renvoie pour ce terme à l’entrée silphium[121], terme désignant une célèbre plante antique de Cyrénaïque, aux vertus culinaires et médicinales, disparue à l’époque de Pline[122]. Ces plantes appartiennent à la flore herbacée, impossible à greffer puisqu’il est nécessaire que le porte-greffe soit ligneux pour que la greffe prenne. Dans le De plantatione arborum, le terme maguderis apparaît dans un contexte de curiosité, à propos de greffes étranges et non fécondes. Nous pouvons donc nous tourner vers une autre proposition, offerte par le Catholicon de Jean de Gênes au XIIIe siècle, et reprise dans le dictionnaire de Firmin le Ver, entre 1420 et 1440 : voir dans le maguderis le chou ou le tronc de chou, qui a pu servir de porte-greffe. On trouve en effet encore cette pratique de greffer le chêne sur un tronc de chou dans le traité L’agriculture et maison rustique, par Ch. Estienne et J. Liébaut : « Pour faire qu’un chêne ou autre arbre soit verd aussi-bien en Hyver comme en Eté, entés-le sur un tronc de chou »[123]. Ceci correspond aussi à ce qu’on trouve pour maguderis chez W.F. Daems, qui renvoie à une sorte de chou : le Brassica oleracea[124].
Enfin, le samborius, cité deux fois par l’auteur au chapitre 23, apparaît comme un hapax dans le paysage botanique du Moyen Âge, à moins d’y voir une graphie du sambucus qui peut être le sureau, le sorbier ou un arbrisseau portant des fruits, et susceptible de recevoir une greffe, comme le groseiller.
On remarque que les noms de plantes universellement connues, tels que la vigne, le pommier, le noyer ou le poirier, ne présentent pas de variantes graphiques prononcées. A contrario, les éléments moins communs peuvent présenter de fortes différences onomastiques, à l’image du cognassier, du mirabellier, du palmier, du melon, et même du liège. Les variétés d’arbres fruitiers au chapitre 21 sont locales et présentent une grande diversité, où la langue germanique domine les appellations. À la différence des grandes encyclopédies et des herbiers qui se veulent généralistes quant aux espèces végétales, le De plantatione arborum néglige pour les fruits l’utilité universelle et les descriptions globales, au profit des variétés locales aux noms connus des gens du cru. Le même principe domine dans le traité auvergnat écrit dans la deuxième moitié du XVe siècle, La maniere de henter soutillement[125], ou dans l’ouvrage de Nicole du Mesnil, La manière d’enter et planter arbres[126]. Cette prédominance de la terminologie locale dans les traités botaniques spécialisés, peu étudiée jusqu’ici, mériterait davantage d’attention.
Quant à son objectif pratique, l’auteur du De plantatione arborum tient des propos ambigus. Il affirme en effet au chapitre 9 que l’action de greffer un arbre ne peut être décrite par écrit et qu’il convient à qui veut apprendre d’observer sur le terrain les gestes à reproduire. Il entreprend pourtant de décrire ces techniques. Il désire ce faisant montrer que la greffe est une technique purement empirique, que seules l’expérience et la répétition du geste sont à mêmes d’enseigner. Pour L. Bolens, « La tendance médiévale à l’encyclopédisme est aux antipodes du genre représenté par les traités d’agriculture »[127]. Ces derniers ont en effet pour objectif l’amélioration de la production. À l’inverse des grandes encyclopédies et des herbiers, ce genre d’écrits ne traite pas de savoirs théoriques et de vertus plus ou moins avérées, mais de la « codification d’une pratique qui doit être réalisable dans les conditions géographiques et climatiques qu’offre une région donnée »[128].
Toutefois, les techniques de greffe que l’auteur expose dans son traité ne sont guère novatrices[129]. Ainsi, les deux méthodes principales du Tractatus DPA sont les plus simples et les plus courantes : la greffe en fente, la plus répandue en Occident au Moyen Âge, et la greffe en couronne, la seconde étant la plus utilisée et décrite chez les botanistes. En ce qui concerne la greffe en fente, les indications sont claires aux chapitres 10 et 14 : il faut d’abord étêter l’arbre qui servira de porte-greffe, faire une fente verticale dans ce tronc et insérer une ou deux boutures, selon la taille du porte-greffe, dans cette fente. L’opération semble simple, mais l’auteur ne donne pas davantage de détails quant à la pratique de cette technique. Sans connaissances préalables, les indications données ne sont pas suffisantes pour réussir assurément une greffe. Ce procédé, tel qu’il est ici décrit, ne diffère pas de beaucoup de la greffe en fente que l’on pratique actuellement. D’autres auteurs médiévaux l’ont décrite avec plus ou moins de détails selon les cas. Pietro de’ Crescenzi – qui énumère non moins de onze sortes de greffes dans le chapitre 11 du livre IV – précise que cette technique est idéale pour la vigne comme pour les arbres fruitiers[130]. Albert le Grand, Godefroid de Franconie, ou le moins renommé Nicolas Bollard ont également décrit cette technique[131].
Seconde en termes d’utilisation et de description dans les traités médiévaux, la greffe en couronne, quant à elle, convient plus particulièrement aux gros arbres, qui se prêtent mal, dit le Tractatus DPA, aux autres techniques. Bien que l’auteur décrive ici encore de façon très simple ce type de greffe (chap. 10 : « S’il est grand, greffer entre l’écorce et le bois »), on peut considérer qu’il s’agit de l’opération qui consiste en l’insertion d’un ou de plusieurs greffons entre l’aubier et l’écorce du porte-greffe, préalablement soulevée et légèrement écartée. De la même façon, Pietro de’ Crescenzi et Godefroid de Franconie, entre autres, ont décrit cette technique de greffe[132].
Outre ces greffes largement diffusées, le Tractatus DPA expose aussi d’autres méthodes de greffe moins usitées, mais ces alternatives, apparaissant à partir du chapitre 26 ajouté à un certain moment de l’histoire du texte, sont tirées du Pelzbuch, alors que l’auteur du traité originel n’annonce au chapitre 13 qu’une seule méthode supplémentaire, la greffe par approche, appelée « greffe Sylvain » ou greffe par placage. En ce domaine, l’ajout de deux chapitres du Pelzbuch du Godefroid de Franconie fait du De plantatione arborum dans son état final un des panoramas des techniques de greffe le plus complet pour l’époque. Godefroid de Franconie livre en effet dans le Pelzbuch de nombreuses techniques alternatives, qui témoignent d’une évolution des techniques et d’une utilisation d’autres sources que celles qu’il a pu connaître par sa seule expérience. Y sont décrites les greffes par térébration, où l’on troue un arbre pour y faire passer une branche d’un arbre voisin, comme une bouture vivante[133] ; une autre technique consistant à enfoncer un greffon dans un arbre préalablement troué, comme un clou ; une greffe de type à cheval, où le greffon et le porte-greffe sont entaillés tous les deux en V inversé, de telle sorte qu’ils s’emboîtent parfaitement et qu’il ne reste qu’à lier les deux parties ; et enfin la greffe en écusson (emplastratio ou implastratio). Certaines sont rarement mentionnées par les auteurs médiévaux. Albert le Grand évoque la greffe par placage[134], tandis que la greffe en écusson est assez largement répandue, mais sa difficulté n’incite pas à l’utilisation[135]. De même, le badigeonnage préconisé avec une pâte plus ou moins gluante – l’engluement – ainsi que la ligature de la greffe sont des éléments communs à tous, qu’il faut adapter à chaque lieu et chaque situation particulière, ainsi qu’aux ressources disponibles pour ce faire.
Ces techniques ne sont pas des innovations médiévales, car elles se trouvaient déjà dans les œuvres antiques et n’ont que peu évolué dans leurs principes, les différences constatées étant le fruit de l’interprétation de chaque arboriculteur à partir d’une méthode souvent peu précise. On trouve ainsi déjà ces mêmes procédés dans le De agricultura de Caton, puis dans le De re rustica de Columelle, dans le De arboribus qui lui est attribué, et dans l’Historia Naturalis de Pline (en particulier au livre XVII), et surtout dans l’Opus agriculturae de Palladius, le plus influent ouvrage d’arboriculture chez les auteurs médiévaux, en particulier chez Godefroid de Franconie qui l’a abrégé. Les tâches annexes, comme le badigeonnage et la ligature, étaient également prônées par ces Anciens : Caton mentionne déjà le badigeonnage à la glue[136].
L’empirisme de ces techniques n’est pourtant pas à renier. Certes ces greffes sont connues depuis des temps reculés, mais il faut replacer l’auteur dans son contexte : seul moine de sa communauté versé dans l’arboriculture, selon les apparences ne connaissant pas les livres de référence dans cette discipline, ses connaissances sont personnelles et empiriques. C’est pourquoi, dans le chapitre 9, il incite ses compagnons à un apprentissage par observation qui a été le sien : Actus insercionis non sic verbis explicari potest, sicut defacili per visum addisci potest. Videant ergo, qui discere volunt, et operentur secundum quod viderunt.
Excepté ces types de greffe anciennes, les techniques et usages décrits dans le De plantatione arborum n’ont pas d’équivalent dans les traités contemporains. Par exemple, grâce à toutes les indications temporelles que livre le Tractatus DPA, il a été possible d’établir un calendrier des tâches arboricoles qui coïncide avec celles communément acceptées dans les almanachs agricoles[137] : le mois de mars est le plus propice aux greffes sur tout arbre, mais la période de greffe peut aller de janvier (pour les arbres ne donnant pas de gomme) à juillet (pour les arbres à sève grasse). Les tâches annexes, telles que la coupe des boutures, la plantation d’arbres, les récoltes, se retrouvent également aux mêmes périodes que celles indiquées dans le Tractatus DPA.
L’originalité du traité provient ainsi de son énumération quasi exhaustive des techniques de greffe existant au début du XIVe siècle, des données calendaires, mais également de sa vocation, annoncée dans la première phrase de l’introduction : s’adresser aux profanes. La comparaison du discours entre les deux composantes du Tractatus DPA, à savoir les 24 premiers chapitres et les deux derniers tirés du Pelzbuch, montre sans conteste la différence de finalité de l’exposé. Là où l’auteur du De plantatione arborum a composé une œuvre donnant les rudiments de la plantation et de la greffe d’arbres, destinée à un novice en arboriculture, Godefroid de Franconie prodigue non seulement un enseignement général mais également un savoir plus spécialisé à l’attention de l’arboriculteur confirmé, afin de compléter sa formation en lui livrant des procédés empiriques sous forme d’une série d’exemples, dans la lignée de la littérature de recettes. On peut considérer ainsi le Pelzbuch comme une suite spécialisée de l’enseignement du De plantatione arborum.
Quant aux instruments pour la greffe, seuls quelques ustensiles sont cités, en omettant un outil essentiel, la serpe à dos tranchant et à manche court, présente dans nombre d’enluminures représentant la greffe et utilisée aussi pour la vigne[138]. On la trouve déjà sous le nom de falca chez plusieurs auteurs antiques, comme Columelle ou Palladius[139]. Avec son tranchant en demi-lune au dos de la lame, appelé securis, cette serpette est utilisée d’abord par les vignerons mais est très répandue au Moyen Âge pour la greffe des arbres également. De la même façon que l’auteur du Tractatus DPA, Godefroid de Franconie, lorsqu’il décrit la greffe par térébration, n’indique pas son outil principal indispensable, à savoir la tarière. Cet outil à main est destiné à percer des trous dans le bois. Pline en attribue l’invention aux Gaulois et affirme qu’il permet de percer le bois sans le brûler, ce qui le rend particulièrement bien adapté pour la greffe[140].
Quelques outils d’arboriculture sont mentionnés, à commencer par la mantica (sac, besace) et le cistarcium (coffret, petite corbeille, panier, généralement en osier tressé) au chapitre 6, dans le cadre de la conservation et du transport des boutures avec la greffe[141]. Le premier, déjà mentionné par Horace[142], est bien illustré sur une image tirée d’un Recueil de poèmes et dessins variés, datant de 1500[143]. L’auteur évoque ensuite au chapitre 19 une truelle en bois (trolla, que les gloses appellent aussi Kyssent) afin de déplacer les fruits récoltés sans les toucher, précaution essentielle pour une bonne conservation. Pour couper du bois enfin, l’auteur cite la bipennis et la securis, respectivement hache à deux tranchants et la petite hache traditionnelle ou « cogne ». Enfin, Godefroid de Franconie transmet l’utilisation d’un cultello preacuto au chapitre 25, un couteau aiguisé qui servira à guérir un arbre en enlevant la partie de l’écorce touchée par une noirceur.
En-dehors de son caractère ouvertement pédagogique, la deuxième originalité du Tractatus DPA est la présence de termes en moyen allemand. Outre le caractère local que ceux-ci dénotent, leur présence est également révélatrice du mouvement progressif de traduction des œuvres scientifiques et didactiques latines vers la langue vernaculaire à partir de la seconde moitié du XIIIe siècle. Langue écrite unique du Haut Moyen Âge, le latin voit l’émergence de la langue vernaculaire écrite dès 800 pour l’Allemagne[144]. Le phénomène se développe par le biais des traductions à partir de la fin du XIIIe siècle, mais surtout aux XIVe et XVe siècles[145]. Cependant, dans le domaine de la littérature scientifique, ces traductions concernent des textes intégraux en latin ou en langue vernaculaire. On peut citer tout de même deux procédés montrant une volonté de cœxistence des deux langues : le sous-titrage en langue vernaculaire, ligne par ligne et mot par mot (ou paragraphe par paragraphe), et la juxtaposition à la suite des deux textes, latin et vulgaire[146]. Des intégrations directes de termes allemands précis, comme dans le De plantatione arborum, incitent à voir dans ce traité une illustration du passage des œuvres latines aux traductions en langue vernaculaire. Elles témoignent à tout le moins d’une volonté forte de l’auteur de se faire comprendre et de transmettre concrètement son savoir.
Cet objectif n’est pas l’apanage de l’auteur originel du Tractatus DPA mais également des intermédiaires et des copistes qui ont transmis l’œuvre. Celle-ci ne présente pas, en effet, un texte uniforme dans les manuscrits connus, car il existe des variantes régionales, avec des substitutions ou des ajouts de noms spécifiques pour les fruits, les arbres, les cours d’eau, les lieux. Ce phénomène permet une meilleure assimilation des connaissances par association d’idées, selon l’idée « d’aller de l’inconnu vers le connu »[147]. Le chapitre 13 est une parfaite illustration de ce phénomène. L’auteur évoque l’existence d’une espèce de cerise particulière. Celle-ci est appelée de cinq manières différentes, en fonction des variantes locales des manuscrits : bockusen, pelzeorson, pelzeorsum, pokersen ou albe ceruse. Un des copistes n’ajoute pas de nom local mais sait de quelle variété de cerise il s’agit, puisqu’il donne un nom générique doté d’un adjectif descriptif : albe ceruse (cerises blanches). L’aire de diffusion géographique de la cerise en question varie avec les manuscrits : l’un indique l’évêché de Cologne, l’autre l’évêché de Mayence et le dernier le duché de Brunswick (créé au XIIIe siècle). Chacun aussi mentionne la proximité d’une rivière. Quatre manuscrits nomment la Vippera, tandis que le cinquième cite la Laena. La diversité et l’adaptation des termes s’appliquent aussi aux variétés de fruits du chapitre 21. Ces ajouts de copistes ou d’utilisateurs du traité permettent d’expliciter dans un vocabulaire local un terme ou une expression afin d’en assurer la compréhension. Deux sortes de pommes sont ainsi ajoutées au chapitre 21, par deux copistes : Merlinge in Saxonia, Panseberghe in Zwerin. Au-delà des simples variantes orthographiques, la diversité de la langue vernaculaire fait que ces termes sont plus sujets que les termes latins à des transformations linguistiques et des particularismes régionaux.
Â
La question de l’auteur, primordiale pour la reconstitution de la genèse du traité, reste en partie non résolue. Cependant, les attributions antérieures ne résistent pas à l’analyse : ni Albert le Grand, ni Thomas de Cantimpré, ni Godefroid de Franconie ne sont les auteurs de ce traité de la greffe. C’est l’hypothèse d’un moine allemand dont les motivations consistaient à transmettre son savoir à ses frères, sur leur demande, et à un public désireux d’apprendre, qui doit être retenue. Où se situait sa communauté ? Les indices de localisation fournis par les 24 premiers chapitres qui constituent le noyau originel du texte, la situent au nord-ouest de l’Allemagne, ou en Basse-Saxe (Hildesheim), à moins que cette dernière localisation ne soit le fait d’une adaptation postérieure du texte.
L’auteur, par la rédaction de ce traité, s’inscrit dans le mouvement général – bien connu maintenant par les recherches de l’école allemande sur les ouvrages pratiques et la littérature pragmatique – de la multiplication, aux XIVe et XVe siècles, des petits traités pratiques dont le but est de transmettre une expérience ou un savoir aux générations futures. Ce mouvement, apparenté à celui de l’encyclopédisme médiéval un siècle auparavant, met davantage l’accent non plus sur le caractère universel des savoirs et sur la volonté de cataloguer et théoriser tout le monde connu, mais sur des réalités bien plus proches des préoccupations quotidiennes des hommes, de l’agriculture à la médecine. Pour ce faire, naissent des traités où l’empirisme et la littérature de recettes remplacent les considérations théoriques et étymologiques et le répertoire des autorités antérieures, activité privilégiée des compilateurs chez qui l’apport personnel est moindre. L’exemple du Tractatus de plantatione arborum montre que la transmission d’un savoir expérimenté, qui pourrait se décliner en autant de manières de procéder pour une activité qu’il y a d’auteurs, n’empêche pas que les savoirs transmis restent proches des pratiques de greffe reconnues, communes, centenaires et encore valables aujourd’hui. Bien qu’éloigné des traités arboricoles germaniques de son époque, comme l’a montré S. Kiewisch, le Tractatus de plantatione arborum est un témoin de l’évolution générale des techniques, adapté à une région, et original par son ton simple, direct, didactique et détaché des textes de botanique ou d’agriculture mille fois recopiés. L’auteur s’adresse clairement à un public non averti dans la technique arboricole et de fait, adapte son discours et présente un guide simple d’arboriculture. Même le Pelzbuch de Godefroid de Franconie entre dans des considérations plus complexes et plus documentaires. Une autre originalité du Tractatus DPA réside dans l’intégration de termes précis en moyen allemand, sous forme de gloses parfois ajoutées postérieurement au sein même du texte latin. Ces « traces explicites » d’adaptation régionale, selon l’expression de C. Peersman à propos d’un phénomène similaire dans les chartes latines, sont peu fréquentes dans les ouvrages pragmatiques et ne rejoignent pas le processus traditionnel de traduction médiévale systématique, même s’il faut voir dans cet apport linguistique notable un intermédiaire entre œuvres entièrement latines et entièrement vernaculaires.
La traduction française du Tractatus de plantatione arborum offre pour la première fois accès en français à un ouvrage médiéval d’arboriculture pratique peu connu et diffusé depuis sa rédaction dans l’aire linguistique allemande. À ce stade de mise au jour et de bonne connaissance des traités sur l’arboriculture qui ont fleuri au XIVe siècle dans l’espace germanique, il devient essentiel de définir nettement les liens de dépendance et de filiation entre ces traités et d’étudier de quelle manière ils répondaient à un besoin particulier de la vie communautaire régulière, un trait que semble partager la plupart de leurs auteurs.
* La présente contribution est en grande partie inspirée des recherches réalisées dans le cadre du mémoire de maîtrise en histoire de K. Echampard, Le De plantatione arborum (c. 1300), un texte d’arboriculture attribué à Albert le Grand, Mémoire inédit présenté à l’Université de Nancy2 en juin 2009 sous la direction d’Isabelle Draelants et avec la collaboration de Cédric Giraud. Nous publions en outre un article proposé à la revue Zeitschrift für deutsches Altertum und deutsche Literatur, destiné à faire connaître un nouveau témoin de ce texte et ses variantes propres : I. Draelants, K. Echampard, « Le De plantatione arborum anonyme, un traité d’arboriculture du XIIIe siècle : les apports d’un nouveau témoin manuscrit ».
Â