Sébastien MOUREAU1
Miroir de l’état des connaissances au milieu du XIIIe siècle, l’œuvre encyclopédique de Vincent de Beauvais ne cesse d’être étudiée depuis des années par les chercheurs. Mais l’abondance d’informations et de domaines couverts par le dominicain est loin d’avoir été épuisée. L’alchimie, science encore jeune au XIIIe siècle, fait partie de ces champs de connaissance. Elle est introduite en Occident latin lors du mouvement des traductions arabo-latines des XIIe et XIIIe siècles. On considère généralement comme limite la première traduction latine d’un traité arabe alchimique complet qui soit datée, la traduction du Liber de compositione alchimiae, attribué à l’alchimiste légendaire Morien, réalisée en 1144 par Robert de Chester ; cependant, cette étape est un terme symbolique, car la plupart des traductions de textes alchimiques ne sont pas datées2. Mais l’art de la transmutation passionne rapidement les Occidentaux, et Vincent de Beauvais lui accorde une place considérable dans son œuvre, se faisant le témoin du statut de l’alchimie au XIIIe siècle. Cependant, si quelques études ont été produites à ce sujet3, elles n’ont rien de systématique. En examinant toutes les citations relatives à ce domaine dans le Speculum maius, je tends à combler cette lacune en clarifiant les opinions émises pour apporter de nouveaux éléments de réflexion. Cette étude se focalise ainsi sur l’identification et l’analyse des sources alchimiques du Speculum maius de Vincent de Beauvais ; elle porte principalement sur la version trifaria (terminée vers 1259), dans laquelle l’alchimie est abordée abondamment, mais s’attarde également quelque peu sur la version bifaria (antérieure à 1244) ; le but n’est pas de définir une doctrine des métaux chez Vincent de Beauvais, exercice quelque peu artificiel et souvent périlleux, ni de cerner l’opinion de Vincent de Beauvais sur l’alchimie, ce qui a déjà été fait4. Mon intention est aussi de proposer aux chercheurs un outil précieux en annexe : la comparaison intégrale des extraits relatifs à l’alchimie du Speculum naturale (= SN), du Speculum doctrinale (= SD) et de leurs sources identifiées5. Ces outils ont été construits grâce au corpus Sourcencyme (Sources des encyclopédies médiévales) mis en œuvre par Isabelle Draelants à l’Atelier Vincent de Beauvais du Centre de Médiévistique Jean-Schneider (ERL 7229) de l’Université de Lorraine6, et permettent des études analytiques de l’utilisation des sources alchimiques dans le Speculum maius.
Après un rapide état de la question, les méthodes de délimitation du corpus et d’identification des sources sont présentées. Ensuite vient l’examen systématique de chaque autorité citée et l’utilisation qu’en font Vincent de Beauvais et ses frères7 ; ces autorités sont classées selon le type de collecte puis selon l’ordre de longueur des citations, en ordre de fréquence décroissante, à partir de l’autorité la plus citée (à l’exception de l’Actor, placé à la fin de l’article).
Introduction
État de la question
La première étude de l’alchimie chez Vincent de Beauvais est celle de Marcellin Berthelot8. Dans son ouvrage sur l’histoire de la chimie au Moyen Âge, le célèbre chimiste consacre quelques pages au Speculum maius, dans lesquelles il s’intéresse avant tout à l’opinion de Vincent de Beauvais lui-même ainsi qu’au contenu des citations. Il y présente un bon résumé des passages du Speculum naturale sur l’alchimie. Mais l’essai de dégager une doctrine propre à Vincent de Beauvais tourne vite court ; Berthelot constate en effet que, si les textes cités par Vincent de Beauvais prônent le plus souvent les mêmes idées, ils diffèrent cependant en ce qui concerne les détails, ce qui rend incohérent le tout. On observe quelques généralisations, ainsi que quelques erreurs historiques : Berthelot voit en Vincent de Beauvais le témoin de la connaissance des alchimistes de son temps, et prône l’utilisation du Speculum maius pour dater le contenu des traités alchimiques, alors que Vincent de Beauvais n’utilise qu’un certain nombre de traités, et témoigne uniquement de la connaissance de l’alchimie par les non-alchimistes de son époque.
En 1944, Pauline Aiken s’intéresse secondairement à l’alchimie chez Vincent de Beauvais dans son article Vincent of Beauvais and Chaucer’s Knowledge of Alchemy9. Cet article consacré principalement à Chaucer présente quelques imperfections dans la mesure où Aiken tente de définir la doctrine alchimique de Vincent comme si c’était une composition propre, sans tenir compte du caractère encyclopédique du Speculum maius, et trahit un manque de connaissance des textes alchimiques (par exemple, le De anima attribué à Avicenne qui est cité par Vincent de Beauvais n’est en rien le De anima authentique d’Avicenne).
En 1976, Chiara Crisciani présente une brève étude sur les liens entre l’alchimie et les dominicains au XIIIe siècle10. Elle tire d’intéressantes conclusions sur la façon dont Vincent de Beauvais considère l’alchimie comme un art mécanique.
Dans le même ordre d’idées, Jean-Marc Mandosio publie en 1993 un article consacré à l’alchimie dans la classification des sciences et des arts à la Renaissance11. Il propose au début de son article une brève étude de la place de l’alchimie dans les classifications du XIIIe siècle, et y souligne les opinions de Vincent de Beauvais. Ce dernier se fonde sur les classifications d’Hugues de Saint-Victor et de Richard de Saint-Victor, et considère l’alchimie comme un art mécanique, c’est-à-dire relevant des arts « qui, d’après les définitions courantes de la science, ne s’efforcent pas de comprendre en le théorisant le ‘pourquoi’ des choses »12. Ainsi, Vincent de Beauvais tient l’alchimie pour un art qui se limite à de simples opérations manuelles, une pratique sans théorie, une technique qui manipule des forces sans chercher à les comprendre. Il en fait un art subordonné à d’autres (médecine, métallurgie). Il ne nie cependant pas la possibilité de l’existence d’une théorie des arts mécaniques, mais elle est d’une certaine manière extérieure à eux, les artisans ne la possèdent pas13.
En 1991, William Newman se penche brièvement sur la place de Vincent de Beauvais dans l’« Alchemical debate » du XIIIe siècle concernant la possibilité de la transmutation des espèces14.
C’est en 1998 que paraît un article plus spécifiquement consacré à l’alchimie chez Vincent de Beauvais et d’autres encyclopédistes du XIIIe siècle, publié par Marie Claude Déprez-Masson15. Il constitue une bonne contribution à la question ; son intérêt principal réside dans les résumés fiables de la structure des passages du Speculum maius sur l’alchimie (p. 133-135), et une esquisse de l’évolution entre la version bifaria du Speculum maius et la version trifaria (p. 136-142). En revanche, l’identification est laissée de côté, et l’étude comporte plusieurs erreurs : Déprez-Masson considère comme primaires des sources internes, par exemple l’Armenides qui est en réalité une citation du De aluminibus et salibus qui contient elle-même une phrase attribuée à Armenides. En conséquence, les conclusions se révèlent douteuses voire erronées, mais peuvent être complétées par les articles de Chiara Crisciani et Jean-Marc Mandosio.
Dans son ouvrage Scolastique et Alchimie publié en 200916, Sylvain Matton offre aux pages 739-764 le texte des chapitres 105-133 du livre XI du Speculum doctrinale. Il utilise l’édition de 1591 de Venise, et propose en apparat les leçons des extraits correspondants du Speculum naturale.
Récemment, Jean-Marc Mandosio publie un article sur l’acier dans lequel il analyse plusieurs passages du Speculum maius de Vincent de Beauvais17 et les met en contraste avec les descriptions de l’acier dans le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré et le De anima alchimique du Pseudo-Avicenne, entre autres textes.
Le dossier sur l’alchimie chez Vincent de Beauvais présenté ici n’est pas la première étude exhaustive d’un domaine du savoir dans l’encyclopédie du dominicain : la logique a fait l’objet de la thèse de Serge Lusignan, la médecine a été analysée par Stefan Schuler, et le droit par Mario Cardinale18, mais aucun n’a offert une identification complète des sources employées par Vincent de Beauvais.
L’alchimie chez Vincent de Beauvais
Sur les citations consacrées à l’alchimie dans la version bifaria du Speculum maius, nous connaissons peu de choses. On trouve quelques passages sur la minéralogie au livre V, qui concerne l’œuvre du troisième jour de la création (Quintus agit de inicio operis tercie diei id est de dispositione partium inferiorum huius mundi et habet (CXXXIII) capitula)19. On sait également que le livre XXV, perdu à ce jour, était consacré aux arts mécaniques (De mechanica et eius speciebus) ; il contenait peut-être des données sur l’alchimie (les manuscrits de la bifaria conservés ne couvrent que les livres I à VIII).
Dans la version trifaria du Speculum maius, l’alchimie est principalement abordée dans deux parties. Dans le Speculum naturale, au livre VII, consacré à l’œuvre du troisième jour de la création, c’est-à-dire à la minéralogie, aux corpora mineralia20, Vincent de Beauvais élargit la matière du livre V de la bifaria, qu’il développe par ailleurs en quatre livres distincts dans la trifaria. On lit dans la citation de l’Actor au début du chapitre 1 du livre VII :
« Après avoir parlé de la nature de la terre, de sa fertilité et de sa culture, ainsi que des phénomènes qui l’affectent et des vapeurs, il reste à parler des corps terrestres qui apparaissent en partie dans les entrailles de la terre, en partie à sa surface, c’est-à-dire les minéraux, les couleurs naturelles et les pierres. Nous les avons en effet retranchés du livre précédent, pour éviter une désagréable prolixité, et les avons réservées pour les (présenter) de manière plus détaillée dans les (livres) suivants. Ainsi, nous allons maintenant commencer par les corps minéraux. »21
Dans le Speculum doctrinale, Vincent de Beauvais s’intéresse spécifiquement à l’alchimie au livre XI, consacré aux arts mécaniques22, aux chapitres 105 à 133. On trouve en outre quelques passages disséminés dans les autres livres : à la fin des livres V et VI du Speculum naturale, dans les descriptions du sel, de l’alun, du verre, et des corps terrestres, et au livre XV du Speculum doctrinale, dont les chapitres 57 à 65 portent sur les mineralia23.
Le livre VII du Speculum naturale s’articule de la sorte. Vincent de Beauvais commence par présenter des principes théoriques sur les métaux et leur origine (théorie du soufre et du mercure) ; puis il discute rapidement les applications concrètes des opérations alchimiques ; il donne ensuite une longue description des différentes matières (surtout les métaux, ainsi que les esprits et d’autres substances) selon un schéma régulier (définition et nature ; travail en alchimie ; usages médicaux). L’ordre des métaux cités est le suivant : or, argent, cuivre, (laiton), étain, plomb et fer, parmi lesquels sont insérées des descriptions de divers produits dérivés de ces métaux (sels, etc.). Du chapitre 81 au chapitre 97, il se penche sur des sujets plus directement alchimiques : l’élixir, la transmutation, les instruments des alchimistes, et différentes opérations. Aux chapitres 84 à 86, il fait écho au riche débat du XIIIe siècle sur la possibilité de la transmutation24. Les chapitres 98 à 104 reprennent des descriptions de diverses substances.
La structure des chapitres 105 à 133 du livre XI du Speculum doctrinale est assez proche de celle du livre VII du Speculum naturale, à l’exception de quelques points : tout d’abord, le nombre de citations est bien moindre dans le Speculum doctrinale, et Vincent de Beauvais commence par la question de la possibilité de la transmutation. Les opérations sur les substances sont insérées dans les chapitres contenant les descriptions des substances. L’ordre des métaux cités est légèrement différent : or, argent, cuivre, fer, étain et plomb. Le Speculum doctrinale propose un condensé synthétique du contenu du livre VII du Speculum naturale, plus directement axé sur l’alchimie, mais dont de nombreuses citations sur la métallurgie sont absentes.
Délimitation du corpus de citations25
Une des difficultés de ce travail a consisté à délimiter le corpus de citations. Se limiter aux citations purement alchimiques, c’est-à-dire aux citations ne traitant que stricto sensu de la transmutation ou de la teinture des métaux, n’était pas envisageable, car trop restreint pour apporter des résultats significatifs. J’ai donc élargi la collecte à la métallurgie, ou encore à la minéralogie, à l’exclusion des pierres (qui font l’objet du livre VIII et présentent des sources différentes)26 et les processus plus généraux (qui sont repris dans de trop nombreux endroits du Speculum maius). Le noyau a donc d’abord été collecté à partir du livre VII du Speculum naturale et des chapitres 105 à 133 du livre XI du Speculum doctrinale, puis étendu à quelques passages de la fin des livres V et VI du Speculum naturale et à quelques extraits du livre XV du Speculum doctrinale. Certaines citations ont été exclues : les sources qui n’ont pas de lien évident avec l’alchimie, qui ne sont pas des textes alchimiques ou qui ne sont pas liées assez directement à l’alchimie et la minéralogie. Ainsi, je n’analyse pas les citations de Pline et d’Isidore, ni les autorités médicales comme Hali (‘Alī ibn al-‘Abbās al-Majūsī), même lorsqu’elles portent sur les qualités thérapeutiques des substances également utilisées dans l’alchimie (mercure, etc.). Toutefois, j’ai pris en considération les citations du Liber de natura rerum, du Philosophus, des Meteora, ainsi que du De vaporibus attribué à Averroès, car elles sont aussi employées comme des textes alchimiques dans le Speculum naturale, c’est-à-dire dans des chapitres spécialement consacrés à l’alchimie par Vincent de Beauvais.
Ainsi, deux groupes de citations se dégagent : les traités spécifiquement alchimiques, dont je collecte les citations de manière exhaustive dans le Speculum maius, que Vincent de Beauvais utilise pour décrire l’alchimie, et des traités plus généraux, dont je collecte les citations de manière exhaustive dans le Speculum maius, auxquels Vincent de Beauvais a recours dans différents domaines.
De la sorte, j’ai délimité un corpus de 178 citations27, 110 dans le Speculum naturale et 68 dans le Speculum doctrinale, divisées selon dix « marqueurs »28. Vincent de Beauvais cite ainsi : le De anima alchimique du pseudo-Avicenne, un Alchimista et une Doctrina alchimiae (non identifiés), le De aluminibus et salibus, l’Epistola ad Hasen regem de re tecta attribuée à Avicenne, les Meteora (c’est-à-dire les Météorologiques d’Aristote, livre III et IV, et le De mineralibus d’Avicenne), un De vaporibus qu’il attribue à Averroès (en réalité les Quaestiones Nicolai Peripatetici), un Liber de natura rerum (à savoir le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré et le Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham), un Philosophus (non identifié, qui cite le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré et le Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham), et l’Actor (vraisemblablement Vincent de Beauvais lui-même).
Dans le tableau et le graphique qui suivent sont notées les statistiques quantitatives des 178 citations analysées pour cet article. La première colonne contient le marqueur trouvé dans le Speculum naturale et le Speculum doctrinale29. Les lignes qui ne sont pas en gras sont une décomposition de la ligne précédente : par exemple, la ligne du marqueur Meteora en gras est suivie de trois lignes qui ne sont pas en gras qui notent les trois parties des Meteora qui sont citées dans notre contexte (le livre III et le livre IV des Météorologiques d’Aristote, et le De mineralibus d’Avicenne). La seconde colonne décrit le type de collecte que j’ai faite : exhaustive (en bleu dans le graphique) ou non (en mauve). Les colonnes « mots SN » et « mots SD » indiquent respectivement le nombre de mots des citations dans le Speculum naturale et le Speculum doctrinale ; dans le même ordre d’idées, les colonnes « cit. SN » et « cit. SD » notent le nombre de citations. Les pourcentages donnés (de mots et de citations) sont calculés par rapport à l’ensemble du corpus de citations utilisé dans cette étude. La collecte est quantitative uniquement, elle suit le nombre de mots et le nombre de citations. Le graphique est établi selon le pourcentage du nombre de mots des extraits sous chaque marqueur par rapport au corpus total de citations. Les abréviations sont explicitées au début de l’annexe I.
Marqueur |
type |
identifié |
mots SN |
mots SD |
total mots |
% nb. mots |
cit. SN |
cit. SD |
total cit. |
% nb. cit. |
Alchimista / Doctrina alchimiae |
exh. |
non |
3155 |
3007 |
6142 |
26,41 % |
19 |
18 |
37 |
20,79 % |
Alchimista |
exh. |
non |
1879 |
2347 |
4226 |
18,17 % |
12 |
14 |
26 |
14,61 % |
Doctrina alchimiae |
exh. |
non |
1256 |
660 |
1916 |
8,24 % |
7 |
4 |
11 |
6,18 % |
De anima |
exh. |
oui |
2158 |
2108 |
4266 |
18,35 % |
16 |
14 |
30 |
16,85 % |
De aluminibus et salibus |
exh. |
oui |
1682 |
1594 |
3276 |
14,09 % |
18 |
14 |
32 |
17,98 % |
Epistola ad Hasen regem |
exh. |
oui |
456 |
406 |
862 |
3,71 % |
4 |
3 |
7 |
3,93 % |
Meteora* |
non exh. |
oui |
1807 |
1407 |
3214 |
13,82 % |
19 |
5 |
24 |
13,48 % |
*Les nombres mentionnés de citations (et non de mots) en Meteora (total) sont inférieurs à la somme des nombres des citations de ses trois parties en raison des citations composites, c’est-à-dire des citations qui contiennent à la fois des passages du livre IV des Météorologiques d’Aristote et du De mineralibus d’Avicenne.
De mineralibus |
non exh. |
oui |
1556 |
1407 |
2963 |
12,74 % |
14 |
5 |
19 |
10,67 % |
Livre IV des Mét. |
non exh. |
oui |
199 |
0 |
199 |
0,86 % |
5 |
0 |
5 |
2,81 % |
Livre III des Mét. |
non exh. |
oui |
52 |
0 |
52 |
0,22 % |
2 |
0 |
2 |
1,12 % |
Liber de natura/is rerum** |
non exh. |
oui |
1793 |
464 |
2257 |
9,71 % |
15 |
6 |
21 |
11,80 % |
**Les nombres mentionnés de citations (et non de mots) en Liber de natura/is rerum sont inférieurs à la somme des nombres des citations de ses deux sources en raison d’une citation composite, c’est-à-dire d’une citation qui contient à la fois des passages du Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré et du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham.
Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré |
non exh. |
oui |
442 |
436 |
878 |
3,78 % |
6 |
5 |
11 |
6,18 % |
Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham |
non exh. |
oui |
1351 |
28 |
1379 |
5,93 % |
10 |
1 |
11 |
6,18 % |
De vaporibus (QNP) |
non exh. |
oui |
2175 |
0 |
2175 |
9,35 % |
10 |
0 |
10 |
5,62 % |
Actor |
non exh. |
oui |
273 |
329 |
602 |
2,59 % |
5 |
7 |
12 |
6,74 % |
Philosophus*** |
non exh. |
non |
399 |
183 |
582 |
2,50 % |
5 |
2 |
7 |
3,93 % |
***Les nombres mentionnés de citations et de mots en Philosophus sont inférieurs à la somme des nombres des citations de ses deux sources identifiées en raison d’une citation non identifiée.
Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré |
non exh. |
oui |
120 |
183 |
303 |
1,30 % |
2 |
2 |
4 |
2,25 % |
Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham |
non exh. |
oui |
256 |
0 |
256 |
1,10 % |
2 |
0 |
2 |
1,12 % |
Total |
|
|
13830 |
9442 |
23252 |
100 % |
110 |
68 |
178 |
100 % |
Dans la suite de l’article, les sources sont ordonnées selon le type de collecte, puis selon leur longueur, de l’autorité la plus citée à la moins citée (à l’exception de l’Actor, placé en fin d’article). L’Alchimista et la Doctrina alchimiae sont regroupées, en raison de certaines convergences expliquées plus loin.
Méthode d’identification des sources
L’identification s’est déroulée en deux temps. Une première phase, que l’on pourrait qualifier de traditionnelle, a consisté à identifier à partir du marqueur les traités susceptibles d’être des sources, à lire les ouvrages en question et à reconnaître les passages cités. Cette méthode, chronophage, présente des inconvénients : des passages échappent à l’attention du chercheur. En outre, les textes dont le marqueur est éloigné du titre authentique, ou dont le titre varie de façon importante, comme c’est fréquemment le cas pour les traités médiévaux alchimiques, restent souvent impossibles à identifier. L’exemple du De vaporibus attribué à Averroès le montre : ce texte, mieux connu sous le titre Quaestiones Nicolai Peripatetici, varie dans son titre et son attribution selon les manuscrits. Sans la vigilance de Stanisław Wielgus, l’éditeur des Quaestiones Nicolai Peripatetici, et le concours de la chance, les extraits du De vaporibus resteraient probablement non identifiés.
Les outils informatiques modernes peuvent ici apporter une certaine aide à l’identification textuelle de citations. J’ai ainsi utilisé le programme informatique élaboré par Ilse De Vos et Jan Keymeulen30 dans le cadre d’une thèse de doctorat : faisant appel à un algorithme établi pour les identifications automatiques de plagiat dans les travaux universitaires selon la distance Levenshtein-Damerau, ils ont développé un programme permettant d’identifier des proximités textuelles entre deux écrits. Une fois choisi le texte ou le corpus de textes à identifier, on propose un texte ou un corpus de textes que l’on sait ou que l’on soupçonne être une source, on configure le programme selon le degré de transformation supposé (distance Levenshtein-Damerau), et le logiciel trouve automatiquement les parallèles. Cette méthode est intéressante en particulier pour l’identification des sources internes : elle m’a permis de découvrir que le Liber de natura/is rerum que cite Vincent de Beauvais contenait des citations internes du De aluminibus et salibus. Cependant, elle comporte également un inconvénient majeur : il faut lui proposer un corpus de textes susceptibles d’être des sources, et ce corpus doit être préalablement saisi31.
Les sources alchimiques de Vincent de Beauvais
Les collectes exhaustives : les traités alchimiques
L’Alchimista et la Doctrina alchimiae
Le traité
L’examen de l’Alchimista (= Alc) et la Doctrina alchimiae (= Dalc) sont conjoints, car on trouve cinq citations et/ou segments de citations qui sont attribués à la Doctrina alchimiae dans le Speculum naturale et à l’Alchimista dans le Speculum doctrinale32. En outre, on trouve une phrase d’un extrait attribué à la Doctrina alchimiae uniquement présent dans le Speculum naturale (SN, 7, 88a1) qui se retrouve dans un extrait attribué à l’Alchimista dans le Speculum naturale et le Speculum doctrinale (SN, 7, 91c – SD, 11, 128c)33. Ce faisceau d’indices indique qu’il s’agit selon toute vraisemblance d’un seul et même texte que Vincent de Beauvais nomme de deux manières distinctes, dont le titre serait Doctrina alchimiae et qui serait anonyme, d’où l’utilisation du terme Alchimista par le dominicain. Il faut ajouter que l’emploi de l’expression Alchimista pourrait désigner un contemporain, que Vincent de Beauvais ne cite jamais nommément. Ce texte n’est pas identifié.
L’Alchimista/ Doctrina alchimiae est un ouvrage plus tardif que d’autres textes cités par Vincent de Beauvais, car j’ai pu identifier différentes sources internes (cf. annexe pour la comparaison textuelle). Les citations marquées Alchimista comprennent les citations internes suivantes :
-
deux citations du Canon d’Avicenne traduit en latin par Gérard de Crémone34 : une citation non marquée, littérale35 : SN, 6, 79b – SD, 11, 121b2 ; et une citation marquée, ou plutôt une allusion au Canon, lib. 1, fen 1, doc. 3, c. II (De complexionibus membrorum)36 : SN, 7, 95a – SD, 11, 132a ;
-
deux citations marquées37 de l’Epistola ad Hasen regem de re tecta (= EAHR) attribuée à Avicenne (cf. ci-dessous p. 20), traduction latine non datée, qui sont assez littérales : SN, 7, 91c – SD, 11, 128c ; et SN, 7, 91a – SD, 11, 128a ;
-
deux citations non marquées de la version P du De aluminibus et salibus (= DAESP) (cf. ci-dessous p. 17), traduction non datée, qui sont également assez littérales : SN, 7, 91c – SD, 11, 128c ; et SN, 7, 91a – SD, 11, 128a ;
-
une citation marquée38 du livre XXXIV (Liber reprehensionis) du Liber de LXX de Geber (nom latinisé de l’alchimiste légendaire Jābir ibn Ḥayyān39), peut-être traduit par Gérard de Crémone40, citation assez éloignée de l’original : SN, 7, 96a1 – SD, 11, 133a1 ;
-
une citation marquée41 du Liber graduum de Constantin l’Africain († avant 1098/ 1099), citation assez éloignée de l’original : SN, 7, 96a3 – SD, 11, 133a3.
-
une citation marquée Ioannes Damascenus, qui est en réalité une référence à la traduction latine des Aphorismi de Jean Mésué (Ibn Māsawayh), réalisée à la fin du XIIe siècle (qui a circulé sous le nom de Jean Damascène)42.
Les citations marquées Doctrina alchimiae, quant à elles, se limitent à une citation interne non marquée de l’Epistola ad Hasen regem, qui est assez éloignée de l’original : SN, 7, 88a1.
Le texte, un recueil selon toute vraisemblance, est forcément postérieur à ces sources, mais la plupart de ces traductions étant non datées, on doit se contenter de conjecturer une datation vers l’extrême fin du XIIe siècle ou dans la première moitié du XIIIe siècle.
En SN, 7, 82a – SD, 11, 125a, l’Alchimista fait allusion à la possibilité d’utiliser les œufs, les cheveux et le sang pour la confection de l’élixir ; cet élément de doctrine tire probablement son origine du De anima pseudo-avicennien ou de l’Epistola ad Hasen regem attribuée à Avicenne (cf. ci-dessous p. 20), dont l’influence dans le domaine du choix de la pierre (substance à partir de laquelle on fait l’élixir) est dominante jusqu’à la fin du XIIIe siècle (et l’arrivée de la Summa perfectionis du pseudo-Geber) : ces trois substances organiques sont en effet la base de leur élixir.
On observe en SN, 7, 88a2 – SD, 11, 107b une citation de la Doctrina alchimiae contenant deux italianismes (melangoli et arangii, qui désignent tous deux l’orange) ainsi qu’une référence à l’archevêché de Gênes, mais le caractère composite du texte ne permet pas de former une conjecture précise à partir de ces éléments ; il pourrait s’agir d’un texte cité dans la Doctrina alchimiae.
L’utilisation par Vincent de Beauvais
L’Alchimista et la Doctrina alchimiae n’apparaissent pas dans les livres de la version bifaria qui sont conservés.
L’Alchimista est cité 26 fois (12 dans le SN, 14 dans le SD). La Doctrina alchimiae est citée 11 fois (7 dans le SN, 4 dans le SD), sous les marqueurs suivants : Alchimista (ou Alchymista), Ex verbis alchimiste ; Ex doctrina alchimie (ou alchymie). Les citations de l’Alchimista et de la Doctrina alchimiae se trouvent dans les livres 5, 6 et 7 pour le Speculum naturale (une citation pour le livre V et une pour le livre VI), et toujours dans le livre XI du Speculum doctrinale. La plupart des citations se retrouvent à la fois dans le Speculum naturale et le Speculum doctrinale, à l’exception de SD, 11, 121b, qui n’est repris que partiellement dans SN, 6, 79b et SN, 7, 88a, partiellement dans SD, 11, 107b.
Comme il a été dit, l’attribution est parfois différente entre le Speculum naturale et le Speculum doctrinale. Les chapitres dans lesquels on trouve ces citations sont surtout les chapitres purement alchimiques, tels que ceux sur l’élixir ou la transmutation, ainsi que sur diverses opérations. Elles sont cependant aussi utilisées, mais très rarement, pour les descriptions de substances, notamment celles de l’alun et du laiton. La Doctrina alchimiae est la seule source citée pour décrire les instruments des alchimistes (SN, 7, 88a2 – SD, 11, 107b).
Dans la citation SN, 7, 91a – SD, 11, 128a, on trouve une citation interne de l’Epistola ad Hasen regem (attribuée à Avicenna), ce qui a causé une erreur de marqueur dans le Speculum doctrinale : l’extrait y est présenté comme une citation d’Avicenne, mais le Speculum naturale nous permet de voir qu’il s’agit bien d’une citation de l’Alchimista qui contient une citation interne de l’Epistola ad Hasen regem. En outre, le marqueur est « Dicit autem princeps aboali, scilicet Avicenna » : les marqueurs de Vincent de Beauvais ne sont pas structurés de la sorte, et ce marqueur n’est jamais utilisé pour l’Epistola ad Hasen regem. De plus, aucun passage de l’Epistola ad Hasen regem ne correspond à l’intégralité de la citation du Speculum naturale, et cette dernière contient aussi une citation de la version P De aluminibus et salibus non marquée par l’Alchimista. Cf. également ci-dessous p. 20.
Le passage SN, 7, 70c – SD, 11, 130b1, quant à lui, est une citation de l’Epistola ad Hasen regem qui est attribuée à l’Epistola ad Hasen regem dans le Speculum doctrinale, mais à la Doctrina alchimiae dans le Speculum naturale. Cf. à ce sujet ci-dessous p. 20.
Il faut enfin mentionner la citation SN, 7, 67b, qui est une glose de Vincent de Beauvais (Actor) dans laquelle le passage SN, 7, 60b1 – SD, 11, 105d1 est partiellement repris (attribué à la Doctrina alchimiae dans le SN et à l’Alchimista dans le SD).
Le Liber de anima alchimique attribué à Avicenne
Le traité
Le De anima alchimique du pseudo-Avicenne, plus connu sous le nom de De anima in arte alchemiae (= DA), est la compilation et la traduction latine de trois traités arabes perdus à ce jour43. La traduction semble dater de 1226/ 123544, mais l’étape de compilation est impossible à dater. Par ailleurs, il est impossible d’affirmer si le traité a d’abord été compilé puis traduit, ou inversement : la date de traduction pourrait donc ne porter que sur une des trois parties de l’ouvrage. La première partie du De anima est un traité de physique élémentaire, la Porta elementorum ; l’original arabe (perdu à ce jour) a été rédigé avant le milieu du XIIe siècle, et a probablement été traduit en Espagne ou par un traducteur connaissant le castillan, en raison de la transformation linguistique de certains mots45. Il existe une autre traduction latine du traité arabe dans le manuscrit Cotton Galba E IV, sous le titre De elementis, attribuée à un certain Marius46. La deuxième partie du De anima, de loin la plus longue et la plus détaillée (environ 80 %), décrit l’alchimie du De anima : elle contient non seulement les principes théoriques de l’alchimie du De anima, mais aussi de nombreuses recettes. Elle a été composée entre le troisième quart du XIe siècle et le milieu du XIIIe siècle, en Andalus (Espagne islamique)47 ; elle a été traduite en Espagne ou par un traducteur connaissant le castillan, comme le montrent de nombreux mots castillans dans l’ouvrage. La troisième partie du De anima a vraisemblablement été insérée pour compléter la deuxième partie, dont la fin était manquante. On en ignore la date et le lieu de composition ; on peut émettre l’hypothèse d’une traduction en Espagne ou par un traducteur connaissant le castillan, en raison de traces linguistiques48. Le traité est faussement attribué à Avicenne49. L’alchimie du De anima est une alchimie de type jābirien50, basée spécifiquement sur les substances organiques : il propose de fabriquer les élixirs à partir de substances organiques, le sang, les cheveux et les œufs. Le traité est conservé dans huit manuscrits51. Le De anima a été publié par Mino Celsi en 1572 à Bâle, chez Pietro Perna, dans un recueil intitulé Artis chemicae principes, Avicenna atque Geber52.
L’utilisation par Vincent de Beauvais
Le De anima n’apparaît pas dans les livres de la version bifaria qui sont conservés.
Le texte du De anima cité par Vincent de Beauvais s’apparente à la famille de manuscrits L C F V53 ; la version présente dans le Speculum doctrinale est beaucoup plus proche de mon édition du De anima que celle du Speculum naturale, probablement en raison d’une corruption du texte du Speculum naturale. Il est cité 30 fois (16 dans le SN, 14 dans le SD), sous les marqueurs suivants : Avicenna in libro de anima, Avicenna in libro alchimie qui dicitur de anima, Avicenna in alchymia de anima, Avicenna in libro alchymie de anima, Avicenna in libro alchymie. Le De anima est toujours cité dans le livre VII du Speculum naturale et dans le livre XI du Speculum doctrinale, et tous les extraits se retrouvent à la fois dans le Speculum naturale et le Speculum doctrinale. L’attribution est toujours semblable entre le Speculum naturale et le Speculum doctrinale. Le De anima est principalement utilisé par Vincent de Beauvais dans les descriptions des substances et des types d’opérations qui s’y rapportent. Il est également cité dans les chapitres spécialement consacrés aux opérations sur les substances dans l’alchimie. Seule la deuxième partie du De anima est citée : plus précisément encore, tous les extraits proviennent des dictiones54 1, 4 et 5.
Vincent de Beauvais n’emploie que les parties théoriques du De anima, sans reprendre de recette, alors que le De anima est un traité plus pratique que théorique, qui contient avant tout des recettes et des conseils techniques. En outre, Vincent de Beauvais ne conserve que des extraits compréhensibles du De anima, dont de nombreux passages sont obscurs. Le dominicain va jusqu’à supprimer des expressions qui posent problème dans la phrase (par exemple en SN, 7, 61c – SD, 11, 119a1, où est supprimé le pro multo aere dont le sens est problématique à première lecture). Les citations ne sont pas toujours littérales, mais restent plus fidèles au texte que celles du De aluminibus et salibus (cf. ci-dessous 17), en contractant les extraits : Vincent de Beauvais omet des passages qui peuvent éloigner le lecteur du sujet qu’il traite (par exemple SN, 7, 4a – SD, 11, 110a, ou bien SN, 7, 54b – SD, 11, 114b, ou encore SN, 7, 82b – SD, 11, 125b55). Contrairement aux citations du De aluminibus et salibus, celles du De anima conservent plusieurs transcriptions de mots arabes (par exemple en SN, 7, 13c – SD, 11, 111b, le mot orizum correspondant au ebrizum du De anima qui transcrit l’arabe ibrīz, « or pur »). Parfois cependant, le résumé d’un long passage provoque la perte des arguments du texte, peut-être à cause d’une mécompréhension (comme dans le cas de SN, 7, 85b – SD, 11, 106b1).
Une citation particulière mérite qu’on s’y attarde. En SN, 7, 87a – SD, 11, 107a, on observe une liste de noms d’alchimistes qui font autorité dans le domaine, dont Vincent de Beauvais ne retient qu’une partie. Le De anima propose en effet une longue liste d’autorités alchimiques, dont de nombreux noms ont été transcrits de l’arabe sans qu’on puisse en deviner l’origine, en raison de leur trop grande déformation ; à cette liste d’autorités mythiques, bibliques et arabes a été ajoutée une série de noms chrétiens, probablement par le traducteur (et/ou compilateur ?) du De anima56. Vincent de Beauvais limite sa citation aux autorités bibliques et à quelques auteurs arabes (uniquement les plus connus, comme Geber), et insiste surtout sur les autorités chrétiennes. L’ordre de la liste reste relativement le même, à l’exception de Virgilius57, que le dominicain place beaucoup plus haut dans la liste, pour induire une plus grande cohérence typologique des autorités.
La citation SN, 7, 4a – SD, 11, 110a contient une divergence théorique importante entre le Speculum naturale et le Speculum doctrinale (le nombre des métaux), qui s’explique par une corruption de la tradition manuscrite (cf. annexe).
Le De aluminibus et salibus
Le traité
Le De aluminibus et salibus (= DAES) est un traité anonyme arabe d’alchimie pratique qui a été traduit en hébreu et en latin58. L’ouvrage est le plus souvent anonyme, parfois attribué à Hermès, plus rarement à Rāzī (dans le seul manuscrit Paris, BnF, Lat. 6514, f. 125r-v, et chez Vincent de Beauvais), probablement en raison du côté pratique de l’alchimie qu’il décrit. Son titre varie dans les manuscrits : on trouve notamment le titre De spiritibus et corporibus59, et c’est selon ce titre que Roger Bacon cite l’ouvrage. Il semble avoir été rédigé en Espagne au XIe ou au XIIe siècle. La version arabe n’est conservée que partiellement dans le seul manuscrit Berlin, Staatsbibliothek, Sprenger 190860, elle a été éditée par Julius Ruska en 193561. Le texte latin existe selon dans trois versions différentes :
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une première version, appelée version P (= DAESP), éditée par Robert Steele (selon peu de manuscrits)62, qui est celle utilisée par Vincent de Beauvais ;
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une seconde version, nommée version G (= DAESG)63, en raison de son édition parmi les œuvres de Jean de Garlande en 156064, éditée par Ruska aux côtés de la version arabe65, qui est celle utilisée par Roger Bacon ; Catherine Arbuthnott a identifié une autre copie de cette version dans le manuscrit Oxford, Bodleian Library, Digby 119, ff. 167v-175r, qu’elle appelle « Digby version »66 ;
-
une troisième version, qui se présente plus comme une adaptation qu’une traduction et qui ressemble à la version P, dont on trouve des fragments dans le Liber claritatis édité par Darmstaedter67, appelée version L.cl.68.
L’ouvrage est répertorié comme une traduction de Gérard de Crémone dans la liste dressée par ses socii69. Toutefois, en l’absence d’études approfondies, il est difficile de déterminer, parmi les trois versions ci-dessus, quelle est la sienne. Une nouvelle édition de la version arabe et des fragments hébreux est actuellement préparée par Gabriele Ferrario, et Catherine Arbuthnott70 travaille en ce moment à l’édition critique de la version latine. Les éditions critiques et l’étude de la tradition manuscrite sont tout particulièrement souhaitées, car elles permettront de se pencher sur le texte avec plus de précision.
L’utilisation par Vincent de Beauvais
Le De aluminibus et salibus est utilisé dans les livres de la version bifaria qui nous sont conservés ; il n’y est cependant cité qu’une seule fois, au sujet de l’étain, sous le marqueur Ex libro de aluminibus et salibus. La citation (Bif., 5, 91c), une seule phrase très brève, correspond au début de la citation SN, 7, 38a – SD, 11, 115a et se termine dans les deux manuscrits par l’abréviation de l’expression et cetera71. Cela permet d’émettre deux hypothèses : soit Vincent de Beauvais l’a ajouté en toute fin de composition de la version bifaria, sans avoir le temps de l’utiliser davantage, soit il n’avait accès qu’à une version partielle et il s’est procuré le texte complet pour la version trifaria.
Le De aluminibus et salibus est cité 32 fois72 (18 dans le SN, 14 dans le SD), sous les marqueurs suivants : Ex libro de aluminibus et salibus, Razi in libro de aluminibus et salibus, Razi in libro de aluminibus, Ex libro Razi de aluminibus et salibus. Vincent de Beauvais attribue l’ouvrage à Rāzī. Il le cite dans les livres V (2 fois), VI (1 fois) et VII du Speculum naturale, et toujours dans le livre XI du Speculum doctrinale. Tous les extraits se retrouvent à la fois dans le Speculum naturale et le Speculum doctrinale, toujours avec la même attribution. Vincent de Beauvais utilise principalement le De aluminibus et salibus dans les descriptions des substances et les types d’opérations qui s’y rapportent, particulièrement dans les chapitres spécialement consacrés aux opérations sur les substances dans l’alchimie, à l’instar du De anima. Il n’a recours qu’aux parties théoriques du traité, alors que le De aluminibus et salibus est un traité très technique proposant de nombreuses informations pratiques.
Les citations du De aluminibus et salibus ne sont pas toujours littérales. Parfois Vincent de Beauvais ne cite que certaines parties de la description d’un produit (par exemple en SN, 5, 86a – SD, 11, 118a1, ou bien en SN, 7, 18b – SD, 11, 112a). Tantôt, il supprime des phrases chargées de sens mais sans rapport direct avec l’alchimie (par exemple en SN, 7, 6b – SD, 11, 105c)73. Contrairement aux citations du De anima, celles du De aluminibus et salibus ne comptent que peu de transcriptions de termes arabes, qui sont généralement écartées du texte (par exemple en SN, 5, 86a – SD, 11, 118a1, ou bien en SN, 7, 42c – SD, 11, 116a, ou encore en SN, 7, 75a – SD, 11, 122a1). Vincent de Beauvais supprime plusieurs passages à la première personne (par exemple en SN, 7, 67a – SD, 11, 118a3). Mais il est également possible qu’il ait utilisé une version abrégée qui ne nous est pas parvenue, ou qui n’est pas éditée. Ces omissions conduisent parfois à des contresens importants (par exemple en SN, 7, 6b – SD, 11, 105c).
La citation SN, 7, 42c – SD, 11, 116a contient une transformation du texte : on lit dans le Speculum naturale « Convenerunt greci philosophi », et dans le Speculum doctrinale « Convenerunt inde philosophi », alors que le De aluminibus et salibus contient « Et convenerunt philosophi Indi ». Il s’agit en réalité d’une altération du texte dans la tradition manuscrite (ou directement dans l’édition de Douai74) du Speculum naturale, car le manuscrit du Speculum naturale Paris, BnF, Lat. 14387, et le manuscrit du Speculum doctrinale Paris, BnF, Lat. 16100, donnent « Convenerunt indi philosophi »75.
La citation SD, 11, 122a est sans marqueur, mais correspond bien à un passage du De aluminibus et salibus (qui se retrouve en deux parties dans SN, 7, 75a et SN, 5, 94d).
Le De aluminibus et salibus comme source interne
J’ai pu identifier différents emplois du De aluminibus et salibus comme source interne dans d’autres citations. L’Alchimista cite la version P du De aluminibus et salibus en SN, 7, 91a – SD, 11, 128a et en SN, 7, 91c – SD, 11, 128c (cf. ci-dessus p. 10). Le Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham et le Philosophus citent la version G du De aluminibus et salibus en plusieurs endroits (cf. ci-dessous p. 28 et 32).
Les citations internes dans le De aluminibus et salibus chez Vincent de Beauvais
Dans les citations du De aluminibus et salibus que fait Vincent de Beauvais, certaines contiennent elles-mêmes des citations internes marquées, c’est-à-dire des citations d’autres auteurs déjà présentes dans le De aluminibus et salibus et, par conséquent, reprises dans les extraits cités. Ainsi, on trouve une citation d’un certain Armenides (un pseudo-Parménide alchimique ?) en SN, 7, 42c – SD, 11, 116a, et une citation de Geber en SN, 7, 75a – SD, 11, 122a1. Je n’ai pas investigué davantage ces citations internes, qui sont celles du De aluminibus et salibus lui-même. Il faut aussi souligner les citations SN, 7, 90a – SD, 11, 127a, dans lesquelles Vincent de Beauvais reprend une citation de Geber faite dans le De aluminibus et salibus sans mentionner le nom de Geber, alors qu’il figure dans le De aluminibus et salibus.
L’Epistola ad Hasen regem de re tecta d’Avicenne
Le traité
L’Epistola ad Hasen regem de re tecta (= EAHR) est la traduction latine d’un traité alchimique arabe, la Risālat al-iksīr (Epître sur l’élixir), attribué à Avicenne (980-1037)76. Plusieurs savants se sont penchés sur la question de l’authenticité de ce traité, qui pourrait être une œuvre véritable du philosophe persan. Ruska en avait rejeté l’authenticité pour trois raisons : Avicenne se prononce contre la transmutation des espèces, le dédicataire de l’épître, le cheik Abū al-Ḥasan Sahl ibn Muḥammad al-Sahlī, est inconnu, et plusieurs toponymes dans la version latine se rapportent à l’Occident arabe. Il supposait donc une rédaction plus tardive, en Andalus. Ahmed Atech réfute les arguments de Ruska : l’épître porte sur la teinture des métaux, et non sur leur transmutation, le dédicataire inconnu pourrait bien être Abū al-Ḥusayn Aḥmad ibn Muḥammad al-Sahlī, vizir de Khwārizmshāh ‘Alī, qui offrit sa protection à Avicenne lorsqu’il vint au Khwārizm, et le texte arabe ne comporte aucun toponyme occidental, Ruska s’est laissé abuser par la version latine. La question reste débattue cependant. L’affirmation d’Atech au sujet de la teinture est sujette à caution, car l’Epistola ad Hasen regem propose l’emploi d’élixirs, dont le principe d’action porte sur les éléments et est censé transmuter complètement le métal. Stapleton, quant à lui, résout le problème en supposant qu’Avicenne a changé d’avis entre la rédaction de la Risālat al-iksīr et le Kitāb al-ma‘ādin wa al-āthār al-‘ulwiyya. L’alchimie prônée dans l’Epistola ad Hasen regem s’inspire notamment de celle de Rāzī et, par voie de conséquence, de celle des traités jābiriens.
L’utilisation par Vincent de Beauvais
L’Epistola ad Hasen regem n’apparaît pas dans les livres de la version bifaria qui sont conservés.
Elle est citée 7 fois dans la trifaria (4 dans le SN, 3 dans le SD)77, sous les marqueurs suivants : Avicenna in epistola ad Basem, Avicenna in epistola ad Hasen, Ex epistola Avicenne ad Hasen. Les citations se trouvent toutes dans le livre VII du Speculum naturale et dans le livre XI du Speculum doctrinale. Toutes se retrouvent à la fois dans le Speculum naturale et dans le Speculum doctrinale. L’Epistola ad Hasen regem est utilisée par Vincent de Beauvais principalement dans la description des procédés alchimiques et des opérations sur les substances. Les passages cités ne sont jamais des recettes ni des descriptions très techniques, comme pour le De anima alchimique et le De aluminibus et salibus. Les citations, assez littérales, sont souvent résumées, en gardant cependant des morceaux de phrases complets (par exemple en SN, 7, 93b – SD, 11, 130b). Comme dans le De aluminibus et salibus, Vincent de Beauvais supprime un certain nombre de passages à la première personne78 (par exemple en SN, 7, 93b – SD, 11, 130b), tout en en conservant quelques-uns (par exemple en SN, 7, 70c – SD, 11, 130b1).
La citation SN, 7, 83a – SD, 11, 126a est particulièrement intéressante, car elle est suivie dans les deux ouvrages d’un assez long commentaire intitulé Glossa (SN, 7, 83b – SD, 11, 126b). Cette glose n’est pas le fait de Vincent de Beauvais, car elle contient des données alchimiques assez élaborées et surtout une référence à Morien, précisément au Liber de compositione alchimiae, une traduction latine d’un traité alchimique arabe, la Risālat Maryānus al-Rāhib al-ḥakīm li-al-amīr Khālid ibn Yazīd (Epître du moine Morien le sage au prince Khālid ibn Yazīd), que Vincent de Beauvais ne cite jamais. S’il avait eu un exemplaire du Morienus, il l’aurait certainement utilisé, car ce traité est une autorité importante : il est par exemple mentionné dans le De anima alchimique, que Vincent de Beauvais possédait, mais il s’agit ici d’un autre passage (la citation ne peut donc pas avoir été tirée du De anima).
La citation SN, 7, 70c, qui correspond à la première partie de la citation SD, 11, 130b et qui est manifestement tirée de l’Epistola ad Hasen regem, est marquée comme venant de l’Epistola ad Hasen regem dans le Speculum doctrinale et est attribuée à la Doctrina alchimiae dans le Speculum naturale ; cette attribution se retrouve dans le manuscrit du Speculum naturale Paris, BnF, Lat. 14387. L’hypothèse d’une confusion de marqueurs par Vincent de Beauvais est à retenir, car la citation SN, 7, 70c est reprise mot pour mot dans le Speculum doctrinale, et y est attribuée à l’Epistola ad Hasen regem ; il est très peu probable qu’il s’agisse d’une citation interne, parce que l’unique citation interne de l’Epistola ad Hasen regem dans la Doctrina alchimiae en SN, 7, 88a1 est assez éloignée de l’original.
La citation SN, 7, 92a – SD, 11, 129a est très légèrement tronquée dans le Speculum naturale, en raison d’une corruption de la tradition manuscrite : le manuscrit du Speculum naturale Paris, BnF, Lat. 14387 contient en effet la partie manquante dans l’édition de Douai.
L’Epistola ad Hasen regem comme source interne
L’Epistola ad Hasen regem est citée dans l’Alchimista en SN, 7, 91a – SD, 11, 128a et en SN, 7, 91c – SD, 11, 128c, ce qui a causé une erreur de marqueur dans le SD (cf. ci-dessus p. 10).
L’Epistola ad Hasen regem est également citée comme source interne dans la Doctrina alchimiae en SN, 7, 88a1 (cf. ci-dessus p. 10).
Les collectes non exhaustives : les traités s’attardant sur l’alchimie
Les Météorologiques d’Aristote et le De mineralibus d’Avicenne
Les traités
Les Météorologiques d’Aristote et le De mineralibus d’Avicenne79 sont ici groupés sous le même intitulé, car Vincent de Beauvais les traite sous le même groupe de marqueurs. La version latine des Météorologiques d’Aristote est le résultat d’une traduction dont l’histoire est assez complexe : les trois premiers livres ont été traduits de l’arabe (à partir d’un abrégé) par Gérard de Crémone80 († 1187), et le quatrième livre (= 4Met) a été traduit du grec par Henri Aristippe81 († 1162). Cependant, dans les années 116082, Alfred de Sareshill décide de pallier un manque dans le quatrième livre d’Aristote, qui affirmait à la fin du livre III qu’il allait s’attarder sur les métaux, qui ne sont cependant pas décrits dans le livre IV. Pour ce faire, il traduit et résume une partie du cinquième fann des ṭabī‘iyyāt (physiques) du Kitāb al-Shifā’ d’Avicenne (980-1037), intitulé Kitāb al-ma‘ādin wa al-āthār al-‘ulwiyya83 (Livre des minéraux et des phénomènes célestes) : il postule en effet probablement qu’Avicenne a utilisé le texte perdu d’Aristote pour composer son propre texte, et tente donc de reconstruire le discours d’Aristote à partir de celui d’Avicenne84. Cette traduction, intitulée De mineralibus (= DM), et plus souvent connue sous le titre erroné de De congelatione et conglutinatione lapidum85, fut adjointe par Alfred de Sareshill à la fin du livre IV des Météorologiques, et fut ensuite considérée par la plupart des auteurs comme une œuvre authentique d’Aristote86. L’autorité d’Aristote conféra un grand succès à cette traduction. Pour corser le tout, le De mineralibus d’Avicenne circula également comme un traité à part entière, séparé des Météorologiques.
Il existe en outre une autre traduction, intégrale, des Météorologiques d’Avicenne (et non d’Aristote), réalisée vers 1270 par Juán González, avec l’aide du Juif Salomon, à la demande de l’évêque de Burgos87.
L’utilisation par Vincent de Beauvais
Les Météorologiques d’Aristote sont cités abondamment dans les livres de la version bifaria qui sont conservés. Ce sont surtout les livres I, II et III, mais on trouve également des citations du De mineralibus. Concernant l’alchimie, seul le De mineralibus est cité, sous les marqueurs in libro quarto metheorum Aristotilis in additis et ex quarto libro metheororum in additis. On lit 4 citations du De mineralibus, dont 3 portant de près ou de loin sur l’alchimie88 :
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Bif., 5, 49d89 (= SN, 5, 80d, qui correspond à une partie de SN, 7, 79b – Bif., 5, 96a) : chapitre De lapidibus qui ex aquis fiunt (= SN, 5, 80).
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Bif., 5, 79b (= SN, 7, 2a – SD, 11, 109a1) : chapitre De mineris terre (= SN, 7, 1-2).
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Bif., 5, 96a1 (= SN, 7, 79b, dont un partie se retrouve en SN, 5, 80d – Bif., 5, 49d) : chapitre De lapidibus mineralibus ;
Bif., 5, 96a2 (= SN, 7, 80a – SD, 11, 123b).
Dans la version trifaria, le corpus des citations des Meteora est élargi ; les Météorologiques d’Aristote et le De mineralibus sont une des bases théoriques importantes pour Vincent de Beauvais dans le sujet de la minéralogie et de l’alchimie. Pour le livre III des Météorologiques (= 3Met), Vincent de Beauvais utilise la traduction de Gérard de Crémone. Pour le livre IV, il cite la version d’Henri Aristippe90. Pour le De mineralibus, il reprend la traduction d’Alfred de Sareshill (cf. infra). Les citations portant sur l’alchimie que Vincent de Beauvais attribue aux Meteora sont au nombre de 24 (19 dans le SN, 5 dans le SD). Parmi elles, le livre III est cité 2 fois, uniquement dans le Speculum naturale, le livre IV est cité 5 fois, uniquement dans le Speculum naturale, et le De mineralibus est cité 19 fois (14 dans le SN et 5 dans le SD)91. La situation est assez complexe. Les livres III et IV des Météorologiques d’Aristote ne sont jamais cités dans le Speculum doctrinale au sujet de l’alchimie (c’est-à-dire dans les citations prises en compte ici) : seul le De mineralibus d’Avicenne est cité à la fois dans les extraits traités du Speculum naturale et du Speculum doctrinale. Les citations des Meteora relevées se trouvent dans le livre V (1 citation) et dans le livre VII du Speculum naturale, et dans le livre XI du Speculum doctrinale. Les marqueurs utilisés sont les suivants :
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pour le livre III des Météorologiques : Aristoteles in libro IIIo meteororum ;
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pour le livre IV des Météorologiques et le De mineralibus, on trouve deux types de marqueurs :
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Aristoteles in libro quarto meteororum, Aristoteles ubi supra libro IVo, Ex libro IVo meteororum, Ex libro IVo metheororum, Ex libro meteororum quarto, Ex libro meteororum IVo, Ex libro IVo, Idem in libro IVo ;
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Ex additis libri quarti meteororum, Ex additis IVi libri meteororum Aristotelis, Ex additis quarti libri meteororum.
Sous le premier marqueur (1) se retrouvent uniquement les citations du livre III des Météorologiques. Pour le second (2), on s’attendrait à voir le livre IV des Météorologiques sous Aristoteles in libro quarto meteororum (a) et le De mineralibus cité sous l’intitulé Ex additis libri quarti meteororum (b) (= 4MetA), puisque le De mineralibus est précisément un ajout au livre IV des Météorologiques d’Aristote, mais ce n’est pas exactement le cas. On remarque que le Speculum doctrinale, qui cite uniquement le De mineralibus dans les citations examinées ici, le fait toujours sous l’intitulé Ex additis libri quarti meteororum. Dans le Speculum naturale, si le livre IV des Météorologiques est toujours mentionné sous l’intitulé qui lui correspond (a), le De mineralibus, en revanche, est cité sous l’intitulé correct Ex additis libri quarti meteororum (b, i.e. 4MetA) dans le livre V, mais est cité sous le marqueur Aristoteles in libro quarto meteororum (a) dans tout le livre VII. En outre, le livre VII du Speculum naturale contient deux citations composites (SN, 7, 24a et SN, 7, 40b), c’est-à-dire des extraits qui contiennent des passages du livre IV des Météorologiques et du De mineralibus, toutes les deux intitulées selon le livre IV (a). Ces marqueurs se retrouvent dans le manuscrit du Speculum naturale Paris, BnF, Lat. 14387 et dans le manuscrit du Speculum doctrinale Paris, BnF, Lat. 16100. Dans la version bifaria, on lit déjà le marqueur in libro III° metheororum Aristotilis in additis (Bif., 5, 49d, Bif., 5, 79b, Bif., 5, 96a) et ex quarto libro metheororum in additis (Bif., 5, 63c). Ainsi, Vincent de Beauvais savait que l’attribution à Aristote de la fin du livre IV des Météorologiques était mise en doute par certains (Albert le Grand, par exemple92).
À cette discussion s’ajoute un passage de l’Actor (cf. ci-dessous p. 35), à la fin de la citation SN, 7, 85a, c’est-à-dire dans le chapitre sur la question de la possibilité de la transmutation (Quod vere fiat eorum transmutatio vel potius disgregatio per alchymiam) :
« (...) Quelques-uns également disent que ce dernier chapitre des Météores, dans lequel il est question de la transmutation des métaux, n’est pas d’Aristote, mais un ajout (tiré) des propos d’un autre auteur. »93
Cette dernière phrase sur l’attribution des Météorologiques ne se trouve toutefois pas dans l’extrait du Speculum doctrinale correspondant, le SD, 11, 106a, tant dans l’édition de Douai que dans le manuscrit Paris, BnF, Lat. 16100, alors qu’on le retrouve dans tous les témoins examinés du Speculum naturale94 (cf. annexe).
Ce faisceau d’indices semble indiquer que, lors de la compilation du livre VII du Speculum naturale et des livres XI et XV du Speculum doctrinale, le travail sur les citations du livre IV des Météorologiques et du De mineralibus a été réalisé par différents socii95. Les citations du De mineralibus dans le Speculum doctrinale sont intitulées de la même manière que dans la bifaria, c’est-à-dire considérées comme un ajout au livre IV des Météorologiques, tandis que celles du livre VII du Speculum naturale sont toutes considérées comme des extraits authentiques : les socii qui ont travaillé sur le livre VII du Speculum naturale ignoraient probablement que la fin du livre IV des Météorologiques était sujette à caution, ce qui a provoqué l’erreur de marqueurs. La glose de l’Actor pour préciser que l’attribution est douteuse aura été ajoutée lors de la révision du livre VII du Speculum naturale (peut-être par Vincent de Beauvais lui-même) ; et puisque les marqueurs du Speculum doctrinale étaient les bons, la glose n’était pas nécessaire dans le Speculum doctrinale. Cependant, il ne s’agit que d’une hypothèse, et la présence de marqueurs ex additis libri quarti meteororum dans le livre V oblige à supposer dans ce cas que le livre VII et le livre V du Speculum naturale ont été compilés par différents socii.
Vincent de Beauvais utilise principalement les livres III et IV des Météorologiques ainsi que le De mineralibus dans les descriptions de substances, mais aussi quelques fois dans les descriptions d’opérations alchimiques sur ces substances. Il traite différemment les citations. Les citations du livre III des Météorologiques sont très peu littérales, elles sont toutes les deux très résumées ; cependant, les expressions citées sont bien composées des mêmes mots que la traduction de Gérard, il n’y a donc pas de doute quant à la version utilisée (cf. annexe). Il en va de même pour le livre IV des Météorologiques : Vincent de Beauvais résume fortement le texte. Il synthétise parfois plusieurs pages en quelques lignes (par exemple en SN, 7, 24b1). En revanche, le De mineralibus n’est pas abrégé ; il est cité très littéralement à l’exception du passage SN, 7, 40b2. Au sujet du De mineralibus, il faut préciser que le texte n’a jamais été édité de façon critique96 ; pour identifier les citations, j’ai utilisé la version éditée par Holmyard et Mandeville97, qui est une édition diplomatique du manuscrit Cambridge, Trinity College, O. 8-25 (ou ms. 1400), du XVe siècle, avec les variantes d’autres manuscrits en apparat. En identifiant les extraits du Speculum maius, j’ai remarqué que Vincent de Beauvais utilisait une version du De mineralibus qui était plus proche de celle présente dans le manuscrit Cambridge, Trinity College, O. 2-18 (ou ms. 1122), également du XVe siècle, donné en apparat par Holmyard et Mandeville (sigle TB), et parfois également de l’édition de Bologne98 (sigle B). Ces rapprochements ne sont cependant pas significatifs, car les manuscrits pris en compte par Holmyard et Mandeville sont fort tardifs. Afin de permettre au lecteur d’observer les liens entre le De mineralibus et le texte de Vincent de Beauvais, j’ai changé la version éditée par Holmyard et Mandeville en prenant dans l’apparat les leçons qui s’apparentent à celles de Vincent de Beauvais, et j’ai parfois corrigé le texte quand il s’agit d’erreurs évidentes : tout changement est noté par le soulignement du texte. Il ne s’agit donc pas d’une édition critique, mais uniquement d’un choix de leçons permettant de voir le lien entre le De mineralibus et le texte de Vincent de Beauvais, en attendant une édition critique valable du De mineralibus. J’ai également inséré dans le texte une ponctuation rudimentaire.
Vincent de Beauvais cite à plusieurs reprises le Sciant artifices, un passage du De mineralibus très débattu au Moyen Âge, dans lequel Avicenne (considéré comme Aristote par Vincent de Beauvais, avec la réserve mentionnée ci-dessus) se prononce contre la possibilité de transmuter les espèces99 : dans le SN, 7, 42a, dans un chapitre consacré aux opérations sur le plomb, et dans la citation SN, 7, 84b – SD, 11, 131b, c’est-à-dire dans le chapitre portant sur la modalité de la transmutation dans le Speculum naturale (Qualiter per hunc lapidem fiat metallorum transmutatio secundum quosdam) et dans le Speculum doctrinale (Qualis fiat per elixir metallorum transmutatio, secundum quosdam). Enfin, il y est fait allusion dans la glose de l’Actor qui a été citée ci-dessus, en mentionnant que certains affirment qu’il ne s’agit pas d’un passage authentique d’Aristote. Il est également intéressant et amusant de voir que cette glose est suivie dans le Speculum naturale d’une citation du De anima alchimique (SN, 7, 85b – SD, 11, 106b1) dans laquelle le pseudo-Avicenne défend la possibilité de la transmutation : ainsi, Vincent de Beauvais propose un texte qu’il pense être d’Avicenne (le De anima alchimique) comme opinion contraire à un texte qu’il pense être d’Aristote (mais l’attribution est mise en doute, glose-t-il), mais il utilise en réalité le pseudo-Avicenne (le De anima alchimique) pour mettre en contraste les propos du véritable Avicenne (le De mineralibus).
Les citations SD, 11, 109a et SD, 11, 120a regroupent chacune plusieurs citations du livre VII du Speculum naturale, au contraire des citations Speculum doctrinale, 11, 123b et SD, 11, 131b, qui correspondent chacune à une citation dans le livre VII du Speculum naturale, bien que le texte des deux versions soit un peu différent.
En SN, 7, 75c – SD, 11, 109a4, Vincent de Beauvais change légèrement le texte en fin de passage, ce qui cause un contresens.
La citation SN, 7, 80a – SD, 11, 123b – SD, 15, 64b présente des leçons particulières. On observe dans le Speculum doctrinale (deux fois) que les lieux géographiques sont tous suivis d’un alias puis d’une autre leçon ; ces ajouts ne se retrouvent pas dans le manuscrit du Speculum doctrinale Paris, BnF, Lat. 16100. En outre, l’édition de Douai propose au milieu de l’extrait le mot Persia dans le Speculum naturale et Parthica alias Parthia dans le Speculum doctrinale : les leçons Parthia et Persia se trouvent toutes les deux dans les manuscrits du De mineralibus 100. Le manuscrit du Speculum naturale Paris, BnF, Lat. 14387 comporte quant à lui Parthica, et le manuscrit du Speculum doctrinale Paris, BnF, Lat. 16100 note Pertica. Cette observation est d’importance pour l’établissement de l’histoire du texte de l’édition de Douai, qui est tributaire de l’édition de Strasbourg de 1476.
Le livre IV des Météorologiques comme source interne
Le livre IV des Météorologiques est cité de manière indirecte dans les citations du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham sous le marqueur Liber de natura/is rerum en SN, 6, 82a2 et SN, 6, 83a.
Le Liber de natura rerum
Les traités
Quand il cite le Liber de natura rerum au sujet de l’alchimie, Vincent de Beauvais se réfère sans les distinguer à deux œuvres : le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré (= LDNRTh), et le Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham101 (= LDNRFo).
Le Liber de natura rerum est une encyclopédie en 19 livres rédigée durant quinze années par le dominicain Thomas de Cantimpré102, terminée aux alentours de 1237-1240. Il y eut au moins trois versions successives du vivant même de l’auteur : ces recensions sont appelées Thomas I, II (en 20 livres, complétée avant 1240) et III (difficile à dater précisément)103. Son œuvre a joui d’un succès considérable, en particulier les passages relatifs aux animaux.
Le Liber de naturis rerum est une encyclopédie moralisée104 faussement attribuée à John Folsham (1300-1348), un carmélite anglais, et probablement rédigée entre 1220 et 1240, mais cette datation est relative car elle ne repose que sur les sources de l’ouvrage. Une seule version est signalée dans cinq manuscrits, tous incomplets.
Deux hypothèses apparaissent. Il pourrait s’agir de deux traités distincts que Vincent de Beauvais cite sous le même marqueur, mais l’hypothèse est peu probante, car ce n’est pas dans les habitudes du dominicain, et il faudrait alors supposer une erreur des socii. La seconde hypothèse, beaucoup plus vraisemblable, est que Vincent de Beauvais possédait un manuscrit intitulé Liber de natura/is rerum qui contenait un texte composé à la fois du Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré et du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham. À cette hypothèse s’ajoute le cas du manuscrit Bernkastel-Kues, Bibliothek des Sint-Nikolaus-Hospitals, Cusanus 203 (fin XIIIe s.), dans lequel se trouve une version incomplète du Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré (ff. 3r-78r) à laquelle sont ajoutés quelques passages du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham (ff. 78v-84v) ; ce manuscrit n’est pas celui utilisé par Vincent de Beauvais, car le dominicain cite le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré presque intégralement, mais l’exemple du Cusanus 203 montre que des versions contenant à la fois le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré et le Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham circulaient. En outre, une citation de l’Actor en SD, 15, 32b semble indiquer que Vincent de Beauvais utilisait une compilation105 : c’est peut-être du Liber de natura/is rerum qu’il s’agit, ou encore du Philosophus (cf. ci-dessous p. 32).
Le marqueur Liber de natura/is rerum semble avoir des liens avec le Philosophus, car plusieurs passages de ce dernier sont également des citations des Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré et Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham. La citation SN, 7, 36c – SD, 15, 60b2 en particulier est attribuée au Liber de natura/is rerum dans le Speculum naturale et au Philosophus dans le Speculum doctrinale (cf. ci-dessous p. 32).
En étudiant le Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham, j’ai identifié des citations internes, dont certaines n’ont pas été remarquées par Abramov106 :
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trois citations assez littérales de la version G De aluminibus et salibus, toutes répertoriées par Abramov : SN, 6, 79c1 ; SN, 7, 24a1 – SD, 15, 60a1 ; SN, 7, 26c1 ; SN, 7, 38d ;
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deux citations très résumées du livre IV des Météorologiques, qu’Abramov a partiellement retrouvées : SN, 6, 82a2 ; SN, 6, 83a.
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quatre citations assez littérales des Quaestiones Nicolai Peripatetici (cf. ci-dessous p. 31), dont Abramov ignorait l’utilisation par le pseudo-John Folsham : SN, 6, 79c2 ; SN, 7, 7b3 ; SN, 7, 18d2 ; SN, 7, 52a.
En outre, les citations du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham portant sur l’alchimie qui sont reprises par Vincent de Beauvais comportent une citation interne du Circa instans (SN, 7, 61f), identifiée par Abramov (cf. annexe).
L’utilisation par Vincent de Beauvais
Le Liber de natura rerum est cité 3 fois dans les livres de la version bifaria qui sont conservés, aux chapitres De iacincto et iunco et iusquiamo (Bif., 6, 40f), De tamarice et taxo et terebinto (Bif., 7, 49j) et De vite (Bif., 7, 51f), mais jamais au sujet de l’alchimie.
Dans les passages de la version trifaria concernant l’alchimie, le marqueur Liber de natura/is rerum est cité 21 fois (15 dans le SN, 6 dans le SD). Parmi ces citations, le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré est cité 5 fois dans le Speculum naturale, et 5 fois dans le Speculum doctrinale107, et le Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham est cité 9 fois dans le Speculum naturale, et 1 fois dans le Speculum doctrinale108. A cela, il faut ajouter une citation composite dans le Speculum naturale, qui contient à la fois un passage du Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré et un passage du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham (SN, 7, 7b). Ces citations se retrouvent dans les livres 6 et 7 du Speculum naturale et dans le livre XV du Speculum doctrinale (jamais dans le livre XI). Les marqueurs, utilisés indistinctement, sont : Ex libro de natura rerum (le seul utilisé dans le Speculum doctrinale), Ex libro de naturis rerum. En outre, les citations dans le Speculum doctrinale sont presque toutes tirées du Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré, à l’exception de SD, 15, 60a. Il faut ajouter à l’inverse que, quand le Speculum naturale contient une citation sur l’alchimie marquée Liber de natura/is rerum qui n’est pas reprise dans le Speculum doctrinale, il s’agit alors toujours du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham.
Le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré est principalement utilisé par Vincent de Beauvais pour des descriptions de substances. Les citations sont littérales. Une citation dans le Speculum doctrinale (SD, 15, 58a, partiellement reprise en SN, 7, 7b1) comporte des extraits littéraux dont l’ordre a été modifié : on peut identifier trois segments dans la citation (cf. annexe). Le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré cité par Vincent de Beauvais correspond au Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré édité par Boese, mais il est difficile de se prononcer précisément entre Thomas I et Thomas II, bien que les identifications semblent indiquer plutôt l’utilisation de Thomas I109.
Vincent de Beauvais a recours au Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham principalement dans des descriptions de substances et dans des descriptions d’opérations qui s’y rapportent. Les citations de cet ouvrage sont généralement littérales, mais montrent clairement un travail de réorganisation. Cette réorganisation pourrait être le fait de Vincent de Beauvais et de ses collaborateurs ou bien de l’auteur de la compilation qu’il a utilisée.
Dans le passage SN, 7, 18d2, l’introduction d’un non dans le texte du Speculum naturale introduit un contresens.
Le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré et le Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham comme sources internes
Le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré et le Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham sont cités sous le marqueur Philosophus.
Le Liber de vaporibus attribué à Averroès
Le traité
Quand Vincent de Beauvais cite un Liber de vaporibus (= DVap) qu’il attribue à Averroès, il s’agit en réalité d’un traité mieux connu sous le nom de Quaestiones Nicolai Peripatetici (= QNP)110. Les Quaestiones Nicolai Peripatetici sont un ouvrage pseudépigraphique contenant diverses quaestiones relatives à la philosophie de la nature, qui est attribué à Michel Scot par Albert le Grand dans son commentaire aux Météorologiques d’Aristote111, et à Averroès par Gilbert l’Anglais dans son Compendium medicinae et par Vincent de Beauvais dans son Speculum maius. Dans les manuscrits du texte112, le traité est attribué une fois à Nicolas le Péripatéticien, une fois à Alpharabi, c’est-à-dire le philosophe Abū Naṣr al-Fārābī, une fois à Avicenne, et une fois à Averroès (sous le titre De vi informativa, copie ne contenant que les deux chapitres sur la physiognomonie), les autres copies étant anonymes. Stanisław Wielgus écarte les hypothèses d’attribution à tous ces auteurs à l’exception de Michel Scot, tout en gardant une réserve, car Michel Scot est le traducteur de plusieurs œuvres d’Averroès. Il semble plus prudent de considérer l’ouvrage comme anonyme. Wielgus observe que les Quaestiones Nicolai Peripatetici apparaissent dans la plupart des manuscrits parmi des œuvres d’Averroès, et que le contenu des Quaestiones Nicolai Peripatetici est influencé de manière directe par un passage du commentaire d’Averroès à la Métaphysique d’Aristote, et de manière indirecte par tout le livre XII de cette œuvre : il émet l’hypothèse d’y voir les causes, entre autres, de l’attribution à Averroès chez Vincent de Beauvais et Gilbert l’Anglais113. La datation du traité semble indiquer le XIIIe siècle, elle se situe entre la composition du commentaire d’Averroès (1126-1198) à la Métaphysique d’Aristote, qui est cité dans les Quaestiones Nicolai Peripatetici, et la rédaction du Compendium medicinae (c. 1230-1240) de Gilbert l’Anglais.
L’utilisation par Vincent de Beauvais
Les Quaestiones Nicolai Peripatetici n’apparaissent pas dans les livres de la version bifaria qui sont conservés.
Les passages relatifs à l’alchimie dans les Quaestiones Nicolai Peripatetici représentent 10 citations chez Vincent de Beauvais, toujours dans le livre VII du Speculum naturale114. Les Quaestiones Nicolai Peripatetici ne sont jamais citées dans le Speculum doctrinale, y compris à propos d’autres sujets que l’alchimie : le fait est important, mais difficile à interpréter. Les marqueurs sont : Averroes ex libro de vaporibus, Ex libro Averrois de vaporibus, Ex libro de vaporibus. Vincent de Beauvais utilise principalement les Quaestiones Nicolai Peripatetici dans la description d’opérations sur diverses substances. Étonnamment, les citations des Quaestiones Nicolai Peripatetici sont souvent plus techniques que celles du De anima alchimique et du De aluminibus et salibus : Vincent de Beauvais utilise les parties les plus théoriques du De anima et du De aluminibus et salibus, mais n’hésite pas à puiser dans les explications théoriques d’observations pratiques que proposent les Quaestiones Nicolai Peripatetici, ce qui leur donne un aspect plus technique dans le Speculum naturale. Les citations des Quaestiones Nicolai Peripatetici sont toujours assez littérales, quoique très sélectives (par exemple en SN, 7, 94a).
Les Quaestiones Nicolai Peripatetici comme source interne
J’ai pu identifier différentes citations internes non marquées des Quaestiones Nicolai Peripatetici dans des passages du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham cités sous le marqueur Liber de natura/is rerum, (cf. p. 28 et infra).
Le Philosophus
Le traité
Le marqueur Philosophus, souvent utilisé par les auteurs médiévaux (tant latins qu’arabes) pour désigner Aristote (voire Avicenne ou Averroès), a en outre un sens plus particulier chez Vincent de Beauvais. On retrouve ce terme pour évoquer proprement Aristote dans le Speculum naturale, souvent avec une précision (par exemple en SN, 4, 1c, Philosophus in metheorum libro Io). Mais quand on trouve le marqueur Philosophus seul, il ne désigne pas seulement Aristote, mais cache également d’autres auteurs.
Quand Vincent de Beauvais cite le Philosophus au sujet de l’alchimie, il s’agit :
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de citations littérales du Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré : SN, 7, 24d – SD, 15, 60b1 ; SN, 7, 36c – SD, 15, 60b2 ; SN, 7, 52c – SD, 15, 63b.
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de citations littérales du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham : SN, 7, 41b ; SN, 7, 54c ; ces citations du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham contiennent elles-mêmes des citations qui sont mentionnées ci-dessous et dans l’annexe I pour les raisons susdites :
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deux citations de la version G De aluminibus et salibus, identifiées par Abramov : SN, 7, 41b1 ; SN, 7, 54c1 ;
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une citation des Quaestiones Nicolai Peripatetici, non identifiée par Abramov : SN, 7, 41b3 ;
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une citation du livre XXXII (Liber fornacis) du Liber de Septuaginta de Geber115, identifiée par Abramov : SN, 7, 54c2 ;
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d’une citation du Liber regalis, la Practica, lib. II, c. 46-47 de Hali, c’est-à-dire du Kitāb kāmil al-ṣinā‘a al-ṭabī‘iyya (Livre complet sur l’art médical), plus connu sous le titre d’al-Malakī (Le royal) ou Kitāb al-malakī (Livre du royal) de ‘Alī ibn al-‘Abbās al-Majūsī, selon sa traduction par Étienne d’Antioche116 : SN, 7, 75b. Cette citation se retrouve citée sous le nom Hali117 en SD, 15, 65c.
Il est étonnant au premier abord d’observer ces extraits sous le marqueur Philosophus, car le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré, le Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham et le Liber regalis sont des textes que Vincent de Beauvais utilise par ailleurs, sous les marqueurs Liber de natura/is rerum (cf. ci-dessus p. 28) et Hali. Les citations du Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré et du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham soulignent une proximité entre le Liber de natura/is rerum et le Philosophus dans le domaine de l’alchimie, mais la citation du Liber regalis montre qu’il s’agit de deux textes distincts. À cela s’ajoute que le nom Philosophus se trouve utilisé comme marqueur dans le manuscrit Oxford, Corpus Christi College, 221 (début du XIVe s.) du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham, notamment pour des citations reprises dans le Speculum maius et marquées Philosophus (dont certaines parmi les citations analysées).
Si on trouve 94 fois (relevé exhaustif, non plus seulement au sujet de l’alchimie) le Philosophus seul (c’est-à-dire sans ajout du type in libro IIIo Metheorum) dans le Speculum naturale, on ne l’observe que 2 fois seul dans le Speculum doctrinale (relevé exhaustif). Ces deux citations du Philosophus dans le Speculum doctrinale, qui se trouvent également dans le Speculum naturale, sont des citations littérales du Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré qui portent sur la description des métaux (SD, 15, 60b qui correspond à SN, 7, 24d et SN, 7, 36c ; et SN, 7, 52c – SD, 15, 63b). Les autres extraits alchimiques et minéralogiques du Philosophus, qui ne sont pas du Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré, sont uniquement cités dans le Speculum naturale.
La citation SD, 15, 60b présente un cas pertinent pour la discussion : SN, 7, 24d – SD, 15, 60b1 est cité sous le marqueur Philosophus dans les deux passages ; et SN, 7, 36c – SD, 15, 60b2 est cité sous le marqueur Liber de natura/is rerum dans le Speculum naturale et sous Philosophus dans le Speculum doctrinale. Le manuscrit du Speculum naturale Paris, BnF, Lat. 14387 confirme le marqueur ex libro de natura rerum, mais le manuscrit du Speculum doctrinale Paris, BnF, Lat. 16100 omet la citation SD, 15, 60a (et non b) ainsi que le marqueur de la citation SD, 15, 60b, en raison d’un saut du même au même118. Je n’ai donc pas pu vérifier le marqueur du Speculum doctrinale ailleurs que dans l’édition de Douai119. Toutefois, il ne s’agit probablement pas d’un simple oubli de marqueur, car le Liber de natura/is rerum est cité en SD, 15, 60a, c’est-à-dire dans le même chapitre 60 : Vincent de Beauvais aurait alors cité dans un seul chapitre le Liber de natura/is rerum, puis le Philosophus, puis à nouveau le Liber de natura/is rerum, ce qu’il ne fait pas habituellement. Pour compliquer encore le tout, le passage SN, 7, 36c – SD, 15, 60b2 comporte lui-même une citation du Liber de lumine luminum pseudo-aristotélicien qui est attribuée à Aristote dans le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré : le Speculum doctrinale copie fidèlement ce marqueur interne, de même que le manuscrit du Speculum naturale Paris, BnF, Lat. 14387, mais l’édition de Douai du Speculum naturale note Philosophus au lieu d’Aristoteles comme source interne (cf. annexe).
Aux données présentées ci-dessus s’ajoutent celles recueillies par Eduard Frunzeanu lors de sa thèse de doctorat120 : un extrait du Philosophus (SN, 5, 20b) cite un certain Alvredus, qui pourrait être Alfred de Sareshill ; plusieurs extraits du Philosophus sont des citations de la Summa de anima de Jean de La Rochelle et du De anima et potenciis eius d’un maître ès arts anonyme (c. 1225). Eduard Frunzeanu remarque également les citations du Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré et des Quaestiones Nicolai Peripatetici121.
Le Philosophus seul n’est jamais cité dans les huit livres conservés de la version bifaria.
Ainsi, différentes hypothèses se présentent. 1) Comme il a déjà été dit, Vincent de Beauvais ne désigne que très rarement ses contemporains par leur nom, le Philosophus pourrait donc être un nom générique utilisé pour désigner des ouvrages d’auteurs contemporains à Vincent de Beauvais. 2) Le nom Philosophus pourrait être un marqueur renvoyant à une compilation de différents textes. C’est cette dernière hypothèse qui semble la plus vraisemblable, en raison de l’utilisation du marqueur Philosophus dans le manuscrit du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham dont il a été question plus haut : le Philosophus serait alors une des sources du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham et de Vincent de Beauvais. Il est peut-être également une des sources du Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré, ou bien le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré est une des sources de la compilation du Philosophus, ce qui placerait dans ce cas la date de rédaction de cette compilation après 1237. La citation du Liber regalis va aussi dans le sens de la deuxième hypothèse. Il est improbable que Vincent de Beauvais cite le Philosophus de manière indirecte à partir du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham pour les citations qui s’y retrouvent, car le Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré ne comporte jamais le marqueur Philosophus.
Le fait que Vincent de Beauvais ne cite le Philosophus seul que 2 fois dans le Speculum doctrinale contre 94 dans le Speculum naturale, à l’instar des Quaestiones Nicolai Peripatetici qui ne sont citées que dans le Speculum naturale, n’est pas anodin, mais reste difficile à interpréter.
L’utilisation par Vincent de Beauvais
Au sujet de l’alchimie, le Philosophus est cité 7 fois (5 dans le SN, et 2 dans le SD), sous l’unique marqueur Philosophus. Tous les extraits du Speculum naturale sont dans le livre VII, et ceux du Speculum doctrinale dans le livre XV (et non dans le livre XI), dans les chapitres consacrés aux métaux. Comme il a été dit, les deux extraits du Speculum doctrinale sont des citations littérales du Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré. Le Philosophus est principalement utilisé par Vincent de Beauvais pour des descriptions minéralogiques, mais aussi pour la description des opérations alchimiques sur le fer (SN, 5, 54c).
Au sujet des citations du Philosophus qui sont des extraits du Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré et du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham, le traitement est identique à celles placées sous le marqueur Liber de natura/is rerum (cf. ci-dessus p. 28).
Les citations de l’Actor
Les citations analysées ne permettent pas d’apporter de nouveaux éléments à la question de la paternité des citations de l’Actor, je me contente donc de renvoyer le lecteur aux études consacrées à ce sujet122. Ces citations sont le plus souvent considérées comme des passages rédigés par Vincent de Beauvais, mais la question reste ouverte. L’Actor intervient 12 fois concernant l’alchimie (5 dans le SN, 7 dans le SD). Deux citations sont reprises à la fois dans le Speculum naturale et le Speculum doctrinale (SN, 7, 84a – SD, 11, 131a, et SN, 7, 85a – SD, 11, 106a).
En plusieurs passages, l’Actor donne des précisions sur la structure de l’ouvrage (en SN, 7, 6c ; SD, 15, 65a ; et SN, 15, 65d).
Dans certaines citations, l’Actor reprend des passages déjà cités ou résume des extraits plus longs. Ainsi, en SN, 7, 63b, il met en perspective l’extrait des Météorologiques d’Aristote cité en SN, 7, 63a avec une phrase du De aluminibus et salibus qu’il donne alors partiellement et qui se trouve également en SN, 7, 62a – SD, 11, 119b. En SN, 7, 67b, il reprend un passage de la Doctrina alchimiae/ Alchimista cité en SN, 7, 60b1 – SD, 11, 105d1 après avoir proposé une conclusion tirée des chapitres 63, 66 et 67 sur le vif-argent et le soufre (le vif-argent et le soufre sont la base des métaux). Dans la citation SN, 7, 84a – SD, 11, 131a, il résume les chapitres SN, 81-83 et SD, 129-130. Il faut préciser que cette citation est marquée glossa dans le Speculum naturale et non Actor, mais la raison semble être que la citation du Speculum naturale suit directement la glossa de l’Epistola ad Hasen regem de re tecta dont il été question plus haut (cf. ci-dessus p. 20) : le marqueur aura été confondu.
La citation SN, 7, 85a – SD, 11, 106a a déjà été traitée plus haut, au sujet du livre IV des Météorologiques (cf. ci-dessus 22).
Enfin, la citation SD, 11, 105a contient un passage dans lequel l’Actor se positionne sur la place de l’alchimie dans la classification des sciences, en citant Richard de Saint Victor. Cette citation a été étudiée par Jean-Marc Mandosio123.
Conclusion
Outre la classification des sources alchimiques de Vincent de Beauvais proposée dans ce dossier, à savoir une distinction entre les traités purement alchimiques et les ouvrages plus généraux, on peut diviser les textes collectés par le dominicain en deux autres catégories : les grandes autorités, et les ouvrages récents de son époque. Comme pour les autres domaines, il ne se contente jamais d’évoquer les grands noms reconnus, il se soucie également de présenter les derniers états du savoir : l’usage constant du Liber de natura rerum de Thomas de Cantimpré et du Liber de naturis rerum du pseudo-John Folsham en est un bon exemple. Et comme dans toute encyclopédie, l’auteur s’attache aux grandes idées de son temps, en l’occurrence, la théorie du soufre et du mercure et d’autres de ce genre. Cependant, cette constatation ne doit pas induire une fausse opinion concernant Vincent de Beauvais et son rapport à l’alchimie. Ses extraits composent un exposé sur l’alchimie, non pas l’exposé d’un alchimiste ; le dominicain est étranger aux pratiques, non seulement alchimiques, mais également métallurgiques. On ne devient pas alchimiste en lisant le Speculum maius, et là n’est pas l’intention de l’encyclopédiste ; il tend plutôt à présenter l’alchimie à des frères érudits qu’à faire d’eux des adeptes de l’art transmutatoire. Des erreurs de cohérence s’observent, éventuellement dues à un manque de connaissance ou à un manque d’attention, voire peut-être voulues par souci de littéralité : le sel ammoniac, par exemple, est classé par le dominicain parmi les esprits (les substances qui se subliment d’elles-mêmes, ou plutôt par la simple action de la chaleur) quand il cite le De anima pseudo-avicennien ou la Doctrina alchimiae, mais se trouve considéré comme un sel quand c’est le De aluminibus et salibus qui est repris124. Vincent de Beauvais n’utilise que peu de traités d’alchimie. Il a vraisemblablement lu les textes qu’il a trouvés et les a cités sans trop se soucier de la précision et de la véracité de leur contenu. Cette tendance se marque également, comme dans les autres encyclopédies de l’époque, par une présence immodérée de la théorie, et une absence quasi totale de références pratiques. Jamais l’auteur ne cite une recette, jamais il ne décrit une manipulation technique. Et même quand il aborde une question plus pratique, c’est toujours selon une vision théorique, pour expliquer un phénomène, et non pour enseigner comment le réaliser. Cette omniprésence de la théorie constitue le paradoxe de Vincent de Beauvais. Dans sa classification des sciences, il range en effet l’alchimie parmi les arts mécaniques, c’est-à-dire les arts dont la théorie, s’il y en a une, est extérieure à eux-mêmes et participe de la philosophie plutôt que de l’art mécanique lui-même, comme le décrit Richard de Saint-Victor en SD, 11, 1a :
« Il faut savoir également que la mécanique participe de la philosophie selon sa théorie, et non selon son exécution. Par exemple, la théorie (dans le domaine) de l’agriculture relève du philosophe, son exécution du paysan. »125
Mais bien qu’il affirme cela, Vincent de Beauvais ne présente dans son discours sur l’alchimie que des notions théoriques, c’est-à-dire, suivant le raisonnement de Richard de Saint-Victor, des notions qui relèvent de la philosophie et non de l’alchimie.
Si la minéralogie présentée dans le Speculum maius est un mélange entre les données classiques grecques et latines (Pline, Isidore, Aristote) et les nouveautés arabo-musulmanes (De aluminibus et salibus, De anima, etc.), l’alchimie qu’il décrit est quant à elle une science récente dans le monde occidental, intégralement issue des premières traductions de l’arabe, une alchimie encore pleinement influencée par les traités arabo-musulmans. Le temps de l’alchimie latine à part entière n’est pas encore arrivé, avec ses compositions propres et ses auteurs plus indépendants vis-à-vis des théories des alchimistes arabo-musulmans, bien que toujours soumis à leur autorité (dont l’exemple le plus influent est la Summa perfectionis du pseudo-Geber). C’est ainsi à une alchimie avant tout jābirienne que Vincent de Beauvais fait allusion : les principes transmutatoires décrits dans son œuvre sont basés sur la théorie des élixirs. Toute chose est composée des quatre éléments, eux-mêmes caractérisés par les propriétés élémentaires ; toute chose est ainsi définie par une proportion de propriétés élémentaires. Pour opérer une transmutation, l’alchimiste doit changer cette proportion pour lui donner celle de l’or ou de l’argent. Pour ce faire, il utilise les élixirs : il divise une substance appelée pierre en ses quatre éléments, et prépare ces éléments de manière à ce qu’ils ne soient caractérisés que par une des propriétés élémentaires ; il réalise ensuite un mélange précis de propriétés élémentaires, appelé élixir, qu’il projette sur le métal pour en changer la proportion de propriétés. A cela s’ajoute parfois un ferment, c’est-à-dire une petite quantité préparée du métal désiré, or ou argent, qui agit à la manière d’un levain en transformant le métal vil en métal noble126. Ces élixirs peuvent être faits avec diverses matières, au sujet desquelles les alchimistes concordent rarement. De cette doctrine arabe ne transparaît qu’un exposé tronqué chez Vincent de Beauvais : les quelques chapitres consacrés à la transmutation (SN, 7, 81-86 et 89-93, et SD, 11, 124-130), presque intégralement tirés du De anima et de l’Alchimista, ne présentent pas la doctrine complète, mais mentionnent seulement la division en les quatre éléments. En outre, la citation de l’Alchimista en SN, 7, 81a – SD, 11, 124a amène une confusion entre la pierre et l’élixir. Ainsi, il n’est pas possible sur la base seule du Speculum maius de comprendre véritablement l’alchimie à laquelle Vincent de Beauvais fait allusion.
Je termine cette étude par une constatation adventice, qui aurait plus sa place dans un essai que dans un article scientifique. L’observation des méthodes de Vincent de Beauvais et des erreurs de cohérence dans son ouvrage m’a porté à constater une proximité entre le mouvement des encyclopédistes du XIIIe siècle et le mouvement actuel d’expansion débridée de l’informatique et de l’Internet. L’accès à l’information étant devenu encore plus aisé qu’auparavant, on observe en effet, en particulier auprès des étudiants universitaires (nés avec cette facilité d’accès à l’information), une propension certaine à la juxtaposition d’informations : de nombreux travaux sont souvent une succession d’extraits plus ou moins remaniés, généralement tirés d’ouvrages à disposition sur le site de Googlebooks, parfois sans aucune considération pour le contexte initial des informations, voire sans souci d’homogénéité. L’analyse prend ainsi de plus en plus de place, et la synthèse s’efface, rompant l’équilibre entre ces deux facultés qui est pourtant un des buts les plus importants, sinon le but le plus important des études universitaires. Ce système m’apparaît en plusieurs points similaire à ce que l’on observe dans la démarche des encyclopédistes du XIIIe siècle : Vincent de Beauvais met en parallèle des extraits de texte en les sortant de tout contexte, et propose ainsi des informations brutes, sans donner au lecteur les éléments suffisants pour les comprendre pleinement. Faciliter l’accès à l’information brute est au centre de leur entreprise. Mais la comparaison s’arrête à cette caractéristique formelle : les causes, les motivations, les buts et les méthodes même sont différents. Outre la mise à disposition d’informations, le but des encyclopédistes médiévaux est de mettre en perspective les anciens savoirs en présentant également les nouveautés, de récolter les dires des plus grandes autorités sur tous les sujets pour offrir au lecteur un savoir total ; le souci de cohérence n’a sa place que dans l’organisation générale de l’ouvrage, sans oublier l’ampleur de la tâche.
Annexe en pdf (pp 42-118)