Pietro d’Abano, Expositio Problematum, VII (v. 1310). Traduction en français

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Béatrice DELAURENTI

L’Expositio problematum de Pietro d’Abano est le premier commentaire latin intégral des Problemata pseudo-aristotéliciens ; il a été achevé vers 1310. Les Problemata sont une œuvre composite, une collection de thèmes particuliers avec une dominante médicale, composée de près de 890 problèmes répartis en 38 sections. L’attribution des Problemata  à Aristote n’était pas remise en cause au Moyen Âge. Aujourd’hui, l’œuvre est considérée comme inauthentique : il s’agirait d’une compilation composée entre le Ier et le Ve siècle de notre ère, à partir d’écrits aristotéliciens et d’éléments hippocratiques et péripatéticiens postérieurs[1]. Pietro d’Abano n’a pas traduit lui-même les Problemata, mais utilisé la traduction latine de Barthélémy de Messine, composée à la cour du roi Manfred de Sicile (1258-1266)[2]. Son Expositio problematum a joué un rôle essentiel dans la réception du texte en Occident : les commentaires aux Problemata rédigés dans le courant XIVe siècle témoignent de la postérité et de l’influence du travail de Pietro d’Abano[3].

La section VII des Problemata rassemble neuf problèmes sous l’étiquette de sympatheia (συμπάθεια)[4]. Ce substantif ne fait pas partie du vocabulaire aristotélicien ; il apparaît uniquement dans le titre de la section VII, et aurait été ajouté lors du regroupement des problèmes sous leur forme actuelle. Mais les idées développées dans la section sont bien celles d’Aristote[5].

Le titre συμπάθεια a été traduit en latin par compassio. Dans les Problemata et dans les commentaires médiévaux, le terme prend un sens technique. La compassion est une réaction involontaire et passive, d’ordre psychique ou corporel, provoquée par le comportement d’autrui. Elle consiste, peu ou prou, en une imitation de ce comportement selon un principe de sympathie. Elle naît de la seule perception sensorielle, visuelle ou auditive, mais elle s’exerce à distance et met en branle la puissance de l’imagination. L’exemple emblématique de la compassion est le bâillement, qui suscite chez celui qui regarde une irrésistible envie de bâiller[6].

Pour Pietro d’Abano, la notion de compassion est le point de départ d’un questionnement sur les relations de l’âme et du corps, la relation de l’homme à l’animal et la place de l’homme dans le monde. Son commentaire à la section VII des Problemata prend appui sur une documentation encyclopédique. Il enrichit le texte source de références aux œuvres grecques ou arabes que les nouvelles traductions ont depuis le XIIe siècle mis à la disposition du monde latin. Les principaux renvois concernent le corpus aristotélicien[7] ainsi que les écrits de Galien[8] et d’Avicenne[9]. D’autres références ponctuelles complètent ce tableau : l’encyclopédie médicale Kitâb al-Maliki d’al-Mağūsī, qui connut un grand succès en Occident ; Albert le Grand, seul auteur latin médiéval à être cité[10] ; enfin la collection de problèmes faussement attribuée à Alexandre d’Aphrodise et le traité De humoribus d'Hippocrate[11]. Ces références philosophiques et médicales forment l’arrière-plan du commentaire de Pietro d’Abano. Elles situent la réflexion dans une problématique caractéristique de la philosophie naturelle et de l’anthropologie scolastiques.

 

Nous présentons ici une traduction en français de la section VII de l’Expositio problematum de Pietro d’Abano. Cette traduction a été établie à partir de l’édition critique du texte latin qui doit paraître aux Presses de l’Université de Leuven avec une introduction, la présentation des sources et un résumé[12].

La traduction du commentaire de Pietro d’Abano s’accompagne d’une traduction du texte source, c’est-à-dire des Problemata, section VII. Cette traduction, nécessaire à la bonne compréhension de l’ensemble, est placée en petits caractères au début de chaque problème. Elle a été réalisée à partir du texte latin des Problemata produit par Barthélémy de Messine, ou plutôt à partir de la version de ce texte qui vraisemblablement a été consultée par Pietro d’Abano[13]. Il s’agit donc d’une traduction française de la traduction latine de l’original grec ; à ce titre, elle doit être considérée avec précaution, d’autant que la version latine pose en elle-même un certain nombre de difficultés. Barthélémy de Messine l’avait conçue en effet comme un calque littéral de l’original grec, suivant une méthode de verbo ad verbum qui ne facilite pas toujours la compréhension du texte[14]. Elle comporte en outre des écarts vis-à-vis de son modèle que le commentaire de Pietro d’Abano intègre et, parfois, amplifie. Pour une lecture plus proche du texte original, on se reportera à la traduction réalisée par Pierre Louis à partir du grec dans l’édition bilingue parue aux Belles Lettres[15].

 

Principes de traduction

Certaines options de traduction concernent l’ensemble du texte et demandent à être justifiées. Le latin compassio est une traduction du grec συμπάθεια ; les deux substantifs ont le même sens étymologique de « sensation commune », « éprouver ensemble une passion » (« com-pâtir »). Pour traduire συμπάθεια, différents options ont été proposées par les éditeurs modernes, sympathie étant la traduction que l’on rencontre le plus couramment[16]. Pour traduire compassio en revanche, j’ai opté pour l’équivalent français « compassion ». Le terme latin n’est en effet pas un simple décalque du terme grec : c’est un choix de traducteur. Barthélémy de Messine et les commentateurs médiévaux ont choisi de traduire συμπάθεια par compassio, puis en ancien français par ‘compassion’, plutôt que par sympatheia qui existait pourtant dans la langue latine. Dans leurs écrits, compassio prend un sens technique, à la fois psychologique et corporel. Dans d’autres sources, compassio est employé dans un sens plus ordinaire, strictement psychologique, pour désigner la capacité à souffrir avec ; cette acception est très répandue. Dans le latin médiéval, le vocable compassio a donc une double signification, ordinaire ou technique. La traduction « compassion » tient compte de ce contexte sémantique, elle permet de restituer à la notion sa profondeur et ses nuances.

Le substantif condolor ne se trouve pas dans les Problemata traduits par Barthélémy de Messine. C’est un ajout de Pietro d’Abano pour désigner une certaine forme de compassion, la souffrance qu’éprouve un homme en son esprit lorsqu’il est témoin de la souffrance physique d’autrui - témoin visuel, mais à distance. Je le traduis par le néologisme « condouleur », qui rend compte du parallélisme opéré par Pietro d’Abano entre compassio et condolor. Le verbe condoleo est rendu par l’expression « partager la douleur de quelqu’un ».

Les substantifs fantasia et ymaginatio sont souvent employés dans l’Expositio de manière indistincte et dans des contextes équivalents. Toutefois, ils sont explicitement distingués dans le problème 2, dans le cadre d’une analyse sémantique de la notion de fantasia. Pietro d’Abano décrit fantasia et ymaginatio comme deux facultés de l’âme impliquées dans un même mouvement d’abstraction à partir des formes sensibles. Selon les acceptions, elles sont tantôt identiques, tantôt différentes ; elles représentent alors deux étapes dans le processus de connaissance et d’appréciation de la perception sensorielle. Pietro d’Abano s’inspire de la conception avicennienne des sens internes : Avicenne conçoit la fantasia tantôt comme un équivalent du premier sens interne, le sens commun, tantôt comme un équivalent du deuxième sens interne, l’imagination (ymaginatio)[17]. En Occident, le terme était aussi employé dans un sens plus large pour désigner, ensemble, le sens commun et l’imagination[18]. Les différentes significations de fantasia ont suscité des commentaires et des confusions. En raison de ces fluctuations de sens, fantasia et ymaginatio sont traduits ici par le même terme,  « imagination », en précisant à chaque fois entre parenthèses le terme latin concerné. L’expression uirtus fantastica est employée à deux reprises par Pietro d’Abano comme un équivalent de fantasia, avec l’indétermination de sens que cela suppose[19] ; elle est traduite par « faculté d’imagination ». Dans les remarques lexicales du problème 2, enfin, le terme latin fantasia a été conservé en latin.

Le terme virtus revient régulièrement dans l’analyse des sens internes et de leur rôle dans la compassion : il désigne les facultés de l’âme, ses vertus ou ses puissances. J’opte pour le terme moderne « faculté », qui permet en outre distinguer virtus de potentia que Pietro d’Abano utilise dans des contextes plus larges.

Le vocable species est polysémique. Au XIIIe siècle, il est utilisé notamment en optique, et permet d’expliquer la propagation de la lumière comme une succession d’impressions corporelles qui se transportent depuis l’émetteur jusqu’au récepteur[20]. Appliqué à la connaissance sensible, comme c’est généralement le cas dans le commentaire de Pietro d’Abano, species désigne les images de l’objet naturel, émises par lui et qui exercent une impression sur un récepteur : il est alors traduit par « impression ».

Il convient aussi de noter un emploi trompeur du substantif motivum. Dans le problème 2, Pietro d’Abano fait du terme un usage quasi grammatical en désignant ainsi le thème, le propos d’Aristote ; un peu plus loin dans le même problème, motivum désigne les fondements logiques d’un raisonnement, sa cause et sa raison d’être.

Ajoutons que chaque portion de commentaire de Pietro d'Abano est introduite par un lemme qui renvoie au problème commenté. Dans la traduction, ces lemmes ont été remplacés par leur équivalent français, c’est-à-dire par les premiers mots en français de la portion de phrase correspondante ; ils sont indiqués en italiques. Lorsque Pietro d’Abano fait une citation littérale, qu’il s’agisse du texte qu’il commente ou d’autres sources, le passage cité est également placé en italiques. Les titres des œuvres citées sont donnés en français sous leur forme actuelle la plus courante.

Pietro d’Abano, Exposition des Problèmes, VII[21]

Pourquoi, en présence de gens qui bâillent, bâille-t-on souvent en retour ? Est-ce parce que, si l'on se souvient de ce que l'on a expulsé, on agit, surtout quand ce sont des émissions bien mobiles, comme par exemple chez ceux qui sont en train d'uriner ? Or le bâillement est un souffle et un mouvement de cette sorte. Il est donc rapide, si seulement on y pense. Car il est proche.[22]

Premier problème etc. : Pourquoi, en présence de gens qui bâillent. Ceci est la section VII, dans laquelle Aristote traite de la cause des accidents qui surviennent de la compassion.

La compassion est une disposition passive du corps causée par une impression dans son propre corps ou dans un autre corps à cause d’une ressemblance naturelle qui se trouve dans l’un ou l’autre corps.

Je dis ‘passive’ parce qu’il faut que le patient soit disposé à accueillir l’action de l’agent pour que l’action puisse advenir.

Je dis ‘naturelle’ parce que c’est dans les choses qui sont faites selon l’intellect et la volonté qu’il y a le moins de compassion : en effet, ce n’est pas parce que quelqu’un fait un mouvement volontaire avec l’un de ses membres qu’à cause de cela, quelqu’un d’autre fait souvent un mouvement semblable, comme cela est dit dans le deuxième problème[23]. Mais c’est dans les choses qui sont soumises à la faculté naturelle que cette compassion se vérifie le plus fortement, parce que celles-ci sont davantage semblables les unes aux autres : en effet, elles proviennent d’un principe uniforme qui s’inscrit davantage dans une même voie et un même ordre, à savoir la matière régulée par l’intelligence.

Et je dis ‘ressemblance’, parce que de telles choses arrivent à cause des relations étroites qu’entretiennent les corps avec les corps, les âmes avec les âmes et les âmes avec les corps. Ainsi, Aristote a écrit dans la Physiognomonie[24] que les âmes suivent les corps et ne sont pas insensibles aux mouvements et aux impressions du corps, comme cela apparaît dans les ivresses et dans les maladies. De même, en sens inverse, le corps pâtit des passions de l’âme, par exemple lorsque l’âme a éprouvé des passions comme la crainte. Dans ce cas, le corps ne peut pas s’empêcher d’effectuer un mouvement désordonné involontaire. D’où Galien, dans le livre Des mouvements problématiques[25] : la transformation des membres du corps imite celle de l’âme, non seulement en ce qui concerne leurs mouvements, mais aussi dans la variation de leur chaleur.

Voilà pourquoi [Aristote] propose d’ordinaire des problèmes sur ces mouvements, et il dit pourquoi, lorsque certains bâillent, c’est-à-dire qu’ils ouvrent la bouche en expulsant des fumées de leur ventre, d’autres en face, voyant de telles choses et s’apercevant que ceux-là bâillent, se mettent souvent à bâiller. Il ajoute souvent, comme on l’a dit, parce que le corps se met dans une disposition passive uniquement chez ceux qui sont préparés, et non chez les autres, comme on le dira plus bas.

Ensuite : Est-ce parce que. La réponse dit que la cause de la compassion est un certain rappel, qui se produit dans la nature, d’expulser les superfluités ; il est provoqué dans la nature par le fait de voir la nature d’autrui expulser ces superfluités. Par suite, l’homme expulse ce qui est nuisible en estimant que cela le soulagera[26]. C’est pourquoi, lorsque quelqu’un aura en bâillant expulsé de son ventre les superfluités fumeuses, les autres, s’ils se sont souvenus de cet acte d’expulser, seront poussés à bâiller, surtout si leur matière y aura été disposée.

Après avoir montré que par le souvenir de celui qui bâille, une autre personne bâille à son tour du fait de la compassion qui lui vient alors si elle se souvient et si elle observe, il montre quelles sont les superfluités expulsées par une compassion de cette sorte, en disant que ce sont surtout celles qui par elles-mêmes sont bien mobiles et qui ne forment pas un bloc, comme c’est aussi le cas pour le caractère aqueux de l’urine et pareillement pour la salive. D’où le fait que souvent – et chez d’autres animaux aussi – lorsque l’un se met à uriner, les autres urinent.

  Les superfluités disséminées dans le corps et qui ne sont pas rassemblées en un lieu unique, comme la matière de la sueur, de l’éternuement et du sperme, ne sont donc pas mues de cette façon par compassion à partir de quelque chose d’autre. Et si cela arrive, c’est rare et de faible amplitude. Mais le bâillement par lequel est émis l’esprit venu du ventre sous forme de fumée est un mouvement de ce type, c’est-à-dire qu’il expulse une superfluité bien mobile, de sorte que, par la seule compassion qu’une personne reçoit de celui qui bâille, elle bâille pareillement et émet un esprit sous forme de fumée, car la matière évacuée par celui qui bâille est préparée à sortir. C’est pourquoi il n’est pas possible de se mettre à bâiller à la suite d’un autre sans une opération de l’intellect, en se remémorant quelqu’un qui bâille. Et ainsi l’on bâillera aussitôt, non seulement parce que la matière est rapide à sortir, mais aussi parce que le lieu dont elle provient est proche.

Il convient de noter, comme le dit Aristote dans le livre De la cause du mouvement des animaux, que les imaginations (fantasie), les sensations et les pensées altèrent nos corps. Elles le font cependant de manière différenciée : la sensation produit immédiatement une altération, alors que l’imagination (fantasia) et l’intelligence, ou pensée, conservent la ressemblance virtuelle des choses, car l’impression du chaud aussi bien que du froid, l’impression du délectable aussi bien que du triste se produisent par un certain mode conforme à ce qu’est chacune de ces choses. Les hommes craignent et tremblent donc par la seule pensée, puisque toutes ces choses sont des passions et des altérations[27]. Cela sera suffisamment exposé dans le cinquième problème[28], qui répète le même problème.

 

Pourquoi, si nous avons vu quelqu’un étendre la main ou le pied ou effectuer un autre geste du même genre, ne faisons-nous pas la même chose ? Mais si nous avions bâillé, nous aurions bâillé à notre tour. N'est-il pas vrai que cela n’arrive pas à chaque fois, mais seulement lorsque le corps est en train d’expulser quelque chose et se trouve dans une disposition telle que l’humeur s’échauffe vers le haut ? Car alors la mémoire déclenche un mouvement. Par exemple, pour le coït ou pour manger, ce qui produit le souvenir est une entité en mouvement vers une passion qui se trouve dans l’imagination (fantasia).[29]

Second problème etc.

Dans ce problème, on voit qu’il y a une différence entre les choses qui relèvent plutôt des facultés naturelles et celles qui relèvent des facultés animales. Premièrement, il [Aristote] pose une question qui touche peut-être au thème qu’il a abordé dans la partie précédente[30]. Il demande pourquoi il arrive que, si nous voyons quelqu’un bouger et tendre la main, ou le pied, ou un autre des membres qui sont mûs par une action volontaire, comme la langue ou même l’œil, nous ne faisons pas pour autant la même chose à notre tour quand nous observons cela, par exemple en tendant l’un de nos membres ; mais cela se passe autrement dans d’autres actes, comme dans le bâillement, parce que si nous avions bâillé, etc. Ou bien, on peut comprendre qu’il ne parle pas seulement de ce que l’on vient de dire, mais que l’objet de la question est aussi ceci : lorsque quelqu’un tend l’un de ses membres, un autre qui observe cela doit aussi le tendre, puisque si nous bâillons, les autres qui regardent en face de nous bâillent immédiatement. Toutefois, parce que le texte commun a nous bâillons à notre tour, nous devons l’expliquer ainsi : si nous avons bâillé, les autres qui regardent – dont nous avons parlé – bâillent à leur tour, et nous, en les regardant ensuite bâiller en face de nous, nous bâillons encore une fois à cause d’eux.

Ensuite : N’est-il pas vrai que. Il répond en limitant son propos, disant premièrement qu’il n’est pas toujours vrai et nécessaire que, lorsque l’un bâille, l’autre bâille, comme cela était indiqué. En effet, dans le précédent problème, il dit souvent[31]. Mais cela arrive lorsque le corps de celui qui observe aura été, par un moyen naturel, disposé à faire la même chose que l’autre auparavant. Et cela se passera quand l’humeur échauffée qui se trouve en lui s’échauffera et s’étendra vers le haut, déliée presque d’elle-même vers le haut du corps. À ce moment là, quand le souvenir survient, comme cela se passe quand l’autre bâille, on est immédiatement entraîné à bâiller. Cette légère attraction de l’humeur, qui est suscitée par le souvenir de quelqu’un qui bâille, peut transformer la matière du bâillement chez celui qui compatit et qui est disposé ainsi, de sorte qu’il se met à bâiller.

  Cette partie se rapporte peut-être aussi non pas au fait de bâiller, mais à ce qui a été dit avant à propos du mouvement des membres, c’est-à-dire de la main etc. Et il dit qu’il n’est pas toujours vrai que lorsque l’un bouge un membre, l’autre ne le bouge pas ; au contraire, il le bouge de temps en temps selon le mouvement d’autrui. Mais dire cela n’est pas une règle de vérité et ne s’accorde pas non plus au texte, à savoir l’humeur qui s’étend vers le haut, etc.

Ensuite : Par exemple. Il déclare deuxièmement que la mémoire, comme cela a été dit, provoque le mouvement de bâillement chez l’autre personne qui compatit, et il dit que nous nous comportons vis-à-vis du bâillement de la même façon que nous le faisons vis-à-vis du coït ou de l’action de manger. De même que, lorsque nous observons des personnes en train de s’accoupler ou de manger, comme nous avons en mémoire leurs manifestations de plaisir, nous sommes poussés à faire les mêmes choses – et pour cette raison, autrefois, les hommes faisant de la philosophie et dévoués à Dieu se cachaient loin des regards pour ne pas être détournés de leur projet à cause du plaisir des choses temporelles – de la même manière, il arrive la même chose avec le bâillement : lorsqu’en effet nous nous souvenons, etc.

Et parce qu’il avait dit que la cause de cela est la mémoire, il montre que c’est la mémoire qui pousse à mouvoir ainsi, en disant que ce qui induit le souvenir de l’acte qui cause la compassion chez l’autre provient du mouvement et de l’impression qui est causée par la compassion produite dans la fantasia, c’est-à-dire l’imagination (ymaginatio). En effet, puisque le bien, ou ce qui semble être bien, met en mouvement l’imagination (ymaginatio) et la faculté estimative, c’est surtout celle-ci qui pâtit de ce bien et qui commande aux autres facultés qui sont après elle dans l’ordre pour qu’elles poursuivent ce qui a été perçu, selon le bel ordre qu’indique Avicenne à la fin de la première partie du livre 6 Des choses naturelles[32]. Par fantasia, on comprendra en outre l’ensemble des facultés internes occultes de l’âme qui viennent avant la mémoire. La mémoire provient donc de celles-ci et elle est causée par elles, et cela arrive lorsque l’impression qui se trouve dans [la mémoire] est affectée et mise en mouvement par une impression extérieure au moyen de la fantasia.

  Il faut noter que [le terme] fantasia est compris de plusieurs manières. Parfois, il a le sens d’apparence, d’où les Topiques, 1[33] : les idées qui sont admises superficiellement ne possèdent pas entièrement la fantasia, c’est-à-dire l’apparence. On comprend aussi fantasia comme le mouvement induit par la faculté d’imagination et par le fantasme, d’où [Aristote], De l’âme, 3[34], où il est dit qu’elle est un mouvement produit par la sensation en acte, et c’est comme cela qu’on doit le comprendre ici. Troisièmement, on comprend aussi fantasia comme la faculté qui se trouve dans le premier ventricule du cerveau, rattachée au sens commun. Ou encore comme la faculté distincte du sens commun qui se trouve dans la partie postérieure du premier ventricule du cerveau ; là, elle est conjointe au ventricule médian, elle conserve les choses appréhendées par le sens commun et elle est là pour la mémoire, comme cela apparaît dans Avicenne, Canon, I, fen 1[35] et le livre 6 Des choses naturelles, 1[36]. Prise de cette manière, la fantasia est également la même chose que l’ymaginatio d’Aristote, ce qui apparaît dans les diverses traductions de celui-ci. On peut aussi expliquer ainsi le discours d’Aristote.

D’une autre manière - et de cette façon la raison d’être de la question disparaît – il faut dire qu’il n’y a pas de ressemblance entre le bâillement et l’extension des mains ou des pieds, puisque ce sont les opérations de facultés différentes visant tel ou tel but distinct : bâiller, uriner et les autres choses du même genre sont plutôt des opérations de la faculté naturelle, surtout baîller, alors qu’étendre les mains ou les pieds sont plutôt des opérations de la faculté animale. Et pour cette raison, l’argument ne vaut pas.

Il faut noter qu’au sujet de cette compassion, de cette impression de l’imagination (ymaginatio) causée par l’âme dans une autre personne, Avicenne dit de grandes choses dans sa philosophie et surtout dans le livre 6 Des choses naturelles, 4[37], ainsi que son collègue Algazel dans la sienne[38]. Ces hommes disent en effet que lorsque l’âme a été constante, noble, semblable aux principes, elle opère souvent dans un corps étranger comme dans le sien, par le fait que la matière du monde lui obéit à tel point qu’elle détruit l’esprit par la pensée et qu’elle tue un homme[39], comme dans le cas de l’œil de celui qui fascine, et qu’elle produit une image mentale[40]. Et cela s’appelle la fascination. À ce sujet, il y a ce proverbe selon lequel l’œil envoie un homme dans un fossé et un chameau dans une étuve, et on dit qu’il est vrai que des hommes ont été fascinés. La cause de cela est que le chameau plaît beaucoup à l’homme, qu’il est admiré et que l’âme mauvaise et envieuse de l’homme pense que le chameau va tomber et tue le corps du chameau par sa propre image mentale, et le chameau tombe aussitôt[41].

 

Pourquoi, si nous nous tenons près du feu, nous n’urinons pas, alors que si nous nous tenons près de l’eau, par exemple si nous nous tenons près d’un fleuve, nous urinons ? Est-ce parce que toute eau éveille le souvenir de l’humidité qui est dans le corps et provoque son expulsion ? Cette eau détend ce qui était congelé dans le corps, comme le soleil fait fondre la neige.[42]

Troisième problème

Il cherche pourquoi on constate que si nous nous tenons près du feu tout en nous souvenant de celui-ci, ce n’est pas pour autant que nous urinons. Mais si nous nous tenons près de l’eau, et surtout quand nous nous souvenons d’elle, et surtout de l’eau en grande quantité, alors nous urinons. Il faut en effet qu’il y ait beaucoup d’eau pour qu’elle puisse multiplier en nous son impression et induire la compassion ; cela ne se passerait pas ainsi avec une très petite quantité d’eau. En outre, une personne compatit davantage et elle est amenée plus rapidement à uriner si cette eau en grande quantité est une eau courante, par exemple un fleuve. Et à ce propos, on devrait peut-être déplacer quasi à côté de fleuve ; de cette manière, il serait parfaitement placé dans le texte[43].

Ensuite : Est-ce parce que. La réponse dit que la cause vient de l’eau, quelle qu’elle soit, surtout lorsqu’elle est en quantité suffisante, parce qu’elle est humide et ruisselante : cette eau induit en nous le souvenir de l’humidité aqueuse qui se trouve dans le corps, par exemple de l’urine aqueuse. À cause de ce souvenir et de la multiplication de l’impression de l’eau dans l’imagination (fantasia), la nature est poussée à émettre de l’urine. Cette eau, en effet, détend le muscle qui resserre le col de la vessie, et elle met en mouvement l’humeur qui était presque congelée et au repos en nous et dans la vessie, de même que le soleil, par sa chaleur, détend et liquéfie la neige congelée par le froid, ce qui la change en eau et la fait couler.

 

Pourquoi certaines maladies rendent-elles malades ceux qui s’approchent, alors que personne n’est guéri par la santé ? Est-ce parce que la maladie est un mouvement, alors que la santé est un repos ? L’une met en mouvement, l’autre non. Ou est-ce parce que l’une est produite involontairement et l’autre volontairement ? C’est que les choses involontaires diffèrent des volontaires et de celles qui procèdent de la prudence.[44]

Quatrième problème

Il cherche pourquoi certaines personnes, par exemple celles qui sont déjà de mauvaise constitution, comme on l’a dit dans le septième problème de la section I[45], lorsqu’elles s’approchent de ceux qui sont affectés par certaines maladies, surtout les maladies pestilentielles et contagieuses, attrapent alors les maladies susdites, alors qu’aucun malade ne guérit en s’approchant de personnes en bonne santé.

Ensuite : Est-ce parce que. Il répond en donnant d’abord une cause tirée de la maladie et de la santé, en disant que cela arrive parce que la maladie à l’œuvre chez ceux qui contaminent les autres consiste principalement en un certain mouvement et altération ; la cause de ceci est le mouvement du poison qui contamine de façon continue l’air extérieur, et par conséquent imprègne les corps de ceux qui s’approchent. D’où Galien, Des parties intérieures, 1[46], qui dit que la maladie est un mouvement hors de la nature. Mais la santé, dit le Philosophe, réside dans un certain repos, de sorte que ce qui contamine un autre corps ne s’évapore ni par la santé, ni par sa cause, qui est l’accord des membres semblables et l’équilibre des fonctions. Cela ne s’évapore pas par la santé, puisqu’elle est une forme habituelle produite à partir du sujet, alors que la maladie dont je parle n’est pas seulement déjà produite, mais à venir.

Il convient de noter, comme cela est dit dans le livre Des parties intérieures, 1[47], que la maladie n’est rien d’autre qu’un mouvement hors de la nature. Mais ce mouvement est double, comme le dit [Galien]. L’un est accompagné d’un certain changement, qui s’intensifie par exemple en se développant ; l’autre est accompagné d’un trouble, qui est par exemple déjà imprimé et habituel. D‘où le fait qu’il dit que le trouble, s’il surpasse le changement, qui est stable, est une maladie appelée passion. Ou alors il y a un mouvement accompagné d’un changement, De l’accident et de la maladie, 3[48] : Et moi, j’appelle passion tout changement du corps du patient, jusqu’au moment où l’action s’arrête. En effet, on ne trouve la passion que dans ce qui est en acte[49].

En outre, il faut savoir que même si la santé en elle-même ne soigne pas les gens qui s’approchent de ceux qui la possèdent, les malades sont manifestement aidés lorsqu’ils s’approchent des gens sains à cause des bonnes humeurs et des principes matériels en lesquels consiste la santé. Par ces humeurs, les vapeurs et les fumées se dissolvent dans l’air en corrigeant le cas échéant la mauvaise qualité de l’air ; de la même façon, la mauvaise qualité de l’air qui est causée par l’inspiration et par l’expiration est rectifiée par les corps sains. C’est pour cela qu’on dit que les lépreux recherchent la compagnie des gens sains.

On peut se demander pourquoi il dit que la maladie est un mouvement et que la santé est un repos, puisque la maladie et la santé sont des contraires et que les contraires appartiennent au même genre, comme cela apparaît dans les Prédicaments[50] et dans la Métaphysique, X[51]. On dit qu’il y a des genres qui sont doubles ; certains comprennent aussi [des espèces] éloignées. Ainsi, tous les contraires sont du même genre, puisqu’un genre se divise en espèces à partir des éléments opposés nés du genre. Par conséquent, de la même façon qu’il y a un seul genre pour la générosité et l’avarice, à savoir le genre de la disposition et de l’état, et au-delà le genre de la qualité, la maladie et la santé ont aussi un seul genre comme espèce première, à savoir le genre de la qualité. Ainsi, le raisonnement qui précédait venait de cela. Il y a aussi d’autres genres qui sont proches : par exemple, le genre de l’avarice est un vice et le genre de la largesse une vertu. Et de la même façon pour notre propos, le genre proche de la maladie est le mouvement, le genre proche de la santé est le repos.

Ensuite : Ou est-ce parce que. Il donne une autre cause importante fondée sur le désir des sujets, en disant que cela se passe ainsi parce que la maladie advient à celui qui ne la veut pas et contre son gré. Personne en effet ne souhaite la maladie, parce qu’elle est corruptive et que personne ne souhaite sa propre corruption, alors que la santé advient à celui qui la veut et qui la désire. Elle est surtout souhaitée et appréciée parce qu’elle est du genre des choses bonnes et louables, à tel point que le malade considère que la santé est la félicité suprême, comme cela est dit dans l’Éthique, 1[52]. Les choses non volontaires, ou contraintes, diffèrent donc de celles qui sont volontaires et qui procèdent de la prudence, qui est la droite raison de l’action, comme cela est dit dans l’Éthique, 6[53], parce que les choses volontaires et prudentes sont bonnes et déterminées, qu’elles accomplissent ce sur quoi elles portent et adviennent rapidement à ceux qui les veulent quand ils les entreprennent. Les choses involontaires et contraintes sont mauvaises et indéterminées, elles contaminent ce sur quoi elles portent et aussi d’autres choses, et atteignent même ceux qui les fuient. Elles possèdent en effet un pouvoir sans limite[54]. Ou bien il faut dire que les choses involontaires diffèrent des choses volontaires parce qu’elles sont faites avec prudence, c’est-à-dire par choix, car celui qui choisit la santé est sain d’esprit, tandis que personne ne choisit d’être malade. Ce que chacun choisit maintenant pour lui-même, il ne veut le transmettre à personne ; en revanche, ce que chacun méprise, il préfère le transmettre à n’importe qui plutôt que de l’avoir en lui. C’est pourquoi il en va ainsi de la santé et la maladie : l’homme sain qui s’approche d’un malade devient malade alors que le malade qui s’approche d’un homme sain ne sera pas guéri. À ce sujet il y a encore une phrase du septième problème de cette section[55] et surtout le dixième problème de la section XXIX[56].

 

Pourquoi bâille-t-on en présence de gens qui bâillent, et quand on voit quelqu’un uriner, pourquoi urine-t-on, ce qui arrive principalement aux bêtes de somme ? Est-ce à cause de la mémoire ? Car lorsqu’on se souvient, cette partie est mise en mouvement. Donc, en ce qui concerne les hommes, du fait qu’ils sont très sensibles, cela conduit aussitôt ceux qui voient à se mouvoir et à se souvenir. En ce qui concerne les bêtes de somme, il ne suffit pas qu’elles voient, mais elles ont aussi besoin d’un autre sens. C’est pourquoi elles flairent aussi, car ce sens est bien mobile chez les animaux dénués de raison. Et c’est pourquoi ils urinent tous à l’endroit où le premier a uriné. Le mouvement se déclenche alors surtout quand ils ont flairé ; or ils flairent lorsqu’ils se sont approchés.[57]

Cinquième problème

Il répète en partie le premier problème[58] et ajoute une phrase sur le sujet, en demandant pourquoi, lorsque certains bâillent, d’autres en face qui les regardent, lorsqu’ils ont été disposés à cela, bâillent de la même manière  ; et aussi, pourquoi certains animaux, lorsqu’ils en ont vu d’autres uriner, urinent eux aussi et s’étirent lorsque d’autres le font.[59] Et après l’homme, cela arrive surtout aux bêtes de somme, par exemple aux bœufs etc[60].

Ensuite : Est-ce à cause. La réponse assigne d’abord une cause générale, en disant que cela arrive à cause de la mémoire. En effet, lorsque la faculté de mémoire est affectée par l’impression qui se trouve dans l’imagination (fantasia), il arrive que quelqu’un se souvienne d’un acte quand il se trouve confronté à cet acte chez quelqu’un d’autre. Alors, pour expulser ses superfluités, il met en mouvement la partie équivalente de lui-même dans laquelle se trouve la mémoire, de la même façon que chez celui qui suscite le souvenir, une partie est mise en mouvement pour expulser les siennes, etc.

Ensuite : Donc, en ce qui concerne les hommes. Il aborde ici deuxièmement la cause spécifique de ce phénomène, et d’abord chez les animaux doués de raison, en disant que les hommes sont, parmi les autres animaux, les plus sensibles et les plus changeants à cause du tempérament de leur complexion, ce que montre la mollesse de leurs chairs, et parce que leur âmes sont fortes et qu’elles émettent des impressions non seulement dans leur propre corps, mais aussi dans ceux des autres, comme cela est dit dans le deuxième problème[61] ; de ce fait, dès qu’ils en voient un autre uriner ou bâiller, sans qu’un autre facteur intervienne, pourvu qu’ils soient disposés ainsi, ils se souviennent de ces actes par la passion que l’autre a imprimée dans leur imagination (fantasia) et sont alors poussés à bâiller ou à uriner comme le premier.

Ensuite : En ce qui concerne les bêtes de somme. Ici, il aborde deuxièmement la cause de ce phénomène chez les bêtes sauvages, en disant que chez les bêtes de somme, par exemple les chevaux ou les bœufs etc., qui ne sont pas aussi sensibles ni dotés d’une âme aussi forte que les hommes, il ne suffit pas qu’ils voient et se souviennent que les autres urinent pour être poussés à uriner eux-mêmes, mais ils ont besoin pour cela d’un autre sens en plus d’avoir vu et de s’être souvenu, plus précisément de l’odorat, qui soutient par la sensation l’action antérieure. Et de cette façon, lorsqu’un être irrationnel comme le bœuf, le chien ou un [animal] semblable veut uriner parce qu’un autre urine, il va flairer le lieu dans lequel celui-ci a uriné. Cela se passe ainsi parce que les êtres privés de raison sont mis en mouvement de manière optimale par le sens de l’odorat. Ils ont en effet un sens d’odorat bien assuré, alors que celui des hommes est mal assuré. Et il arrive que presque tous les animaux urinent dans le lieu dans lequel le premier d’entre eux a uriné, car lorsqu’ils ont flairé, ils sont alors fortement poussés à uriner étant donné que l’odeur, qui est plus lourde que le visible, s’imprime plus fortement dans le sens de l’odorat que le visible ne s’imprime dans le sens de la vue. Et ils flairent principalement quand ils ont approché du lieu dans lequel on a uriné.

Les bêtes sauvages flairent non seulement lorsqu’elles veulent uriner, puisque la vue ne suffit pas, mais aussi lorsqu’elles veulent s’accoupler. Et pour cette raison, elles se placent tout de suite à l’arrière et flairent l’ouverture de la matrice pour qu’il leur vienne souvenir et désir de plaisir. L’homme ne le fait pas, bien qu’il soit l’animal le plus porté au coït ; peut-être est-ce parce que c’est la chose la plus laide et la plus abominable. Cependant, il est utile que les parties naturelles d’une femme soient vues par un homme et inversement pour que l’élan vers la luxure soit plus rapide[62].

Pour expliquer comment, par compassion, l’acte expulsif d’un animal est causé par l’acte d’un autre, il convient de noter, comme le montre Galien, De l’accident et de la maladie, 4[63], que dans la vue il y a moins de plaisir et que le corps est moins modifié par ce sens que par un autre sens ; mais dans le toucher et dans le goût, il y a davantage de plaisir, ensuite dans l’odorat, par suite aussi dans l’ouïe. Il en est ainsi parce que plus l’objet et l’organe sont subtils et spirituels, moins ils apportent de mouvement et de passion, et plus ils sont grossiers et bas, plus ils en apportent. Donc, comme le visible et la pupille sont subtils et spirituels, le plaisir et le changement qu’ils procurent sont, comme on l’a dit, bien moindres dans le cas de la vue que pour les autres sens ; et parce que pour le toucher, c’est l’inverse, donc, etc. En ce qui concerne les autres sens, comme ils sont intermédiaires, cela arrive donc de façon moyenne.

 

Pourquoi, si nous avons observé quelqu’un à qui l’on coupe [une partie du corps], ou que l’on brûle ou frappe, ou qui subit un autre traitement dangereux, partageons-nous sa douleur en esprit ? Est-ce parce que notre nature est commune à tous ? Donc, si nous voyons quelqu’un souffrir de telles choses, nous partageons sa douleur en raison de cette propriété. Ou est-ce parce que les oreilles et les narines reçoivent certaines émanations selon leurs puissances propres, et qu’il en va de même pour la vue ? De la même manière, elle pâtit de ce qui est plaisant ou triste.[64]

Sixième problème

Il cherche pourquoi, si nous avons vu quelqu’un être incisé et coupé par un objet aiguisé, comme cela arrive dans les actes de chirurgie ou les châtiments corporels, ou brûlé par le feu comme dans les tortures et les cautérisations, ou contusionné comme lorsque quelqu’un est lapidé ou écrasé entre les deux surfaces planes de corps durs, ou bien, plus généralement, lorsque quelqu’un subit des choses dangereuses et effroyables, comme d’être mutilé, blessé, jeté d’une hauteur etc., nous souffrons en esprit, c’est-à-dire par la faculté appréhensive intérieure occulte, qui est appelée esprit (mens) selon la Théorie, 4 de Haly Abbas[65], et qui est appelé action régitive selon Galien, Des parties intérieures, 3[66]. Selon ces [auteurs], elle est divisée en trois facultés : faculté imaginative ou imagination (ymaginatiua uel fantasia), faculté cogitative ou discernement (cogitatiua uel discretio), et mémoire (memoria).

Il faut noter que pour qu’il y ait condouleur ou compassion, il n’est pas nécessaire que quelqu’un subisse en acte l’une des souffrances susdites, mais il suffit qu’il soit proche de celui qui souffre, parce que l’intellect perçoit ce qui se trouve à une petite distance comme s’il ne lui paraissait pas distant, comme cela est dit dans la Physique, 2[67] ; ou bien, il suffit aussi qu’il estime que quelqu’un souffre, même s’il ne souffre pas, comme cela arrive lorsqu’on observe ceux qui jouent là-haut dans les airs, sur des cordes tendues entre des tours : chez certaines personnes, en effet, la compassion est si forte qu’elles s’effraient en les voyant.

Ensuite : Est-ce parce que. La réponse indique en premier une cause tirée de la ressemblance secrète entre nous et les animaux. Il dit que la cause est que notre nature est en concordance[68] avec tous et surtout avec les êtres sensibles. Et pour cette raison, il est dit dans la Physique, 8[69], que l’homme est un petit monde. En effet, toutes les choses qui sont dans l’univers se retrouvent dans sa constitution. C’est pourquoi l’homme s’accorde avec tous, puisqu’il s’accorde avec les êtres rationnels ou intelligents parce qu’il pense, avec les êtres irrationnels parce qu’il sent et qu’il bouge, avec les végétaux parce qu’il vit, avec les éléments et certains corps mixtes parce qu’il existe. Ce sont les quatre degrés de l’univers. C’est pourquoi l’homme partage à bon droit la douleur de tous, puisqu’il perçoit par un certain sens que l’un de ceux mentionnés ci-dessus souffre, en raison de la propriété et la concordance qu’il possède en commun avec tous et principalement avec les animaux, et surtout avec ceux qui sont parfaits, et encore plus avec ceux de son espèce.

Et tu dois savoir qu’il a raison de dire notre nature, car la nature et son acte s’accordent l’un l’autre et suivent une seule voie et un seul ordre, bien plus que ne le font la raison et son acte[70]. C’est pourquoi ceux chez qui l’acte de la nature est plus puissant que celui de la raison éprouvent plus de condouleur, si bien que non seulement ils partagent la douleur des individus de leur propre espèce, mais aussi en grande partie celle des individus d’une autre espèce ; ainsi, il arrive de voir des enfants et des femmes qui éprouvent une certaine compassion envers les animaux qu’ils surveillent.

En outre, il dit commune et en raison de cette propriété, parce que s’il n’y avait pas entre ceux-ci de ressemblance et de propriétés communes, il n’y aurait pas de condouleur. C’est pour cela que, comme nous ne paraissons avoir aucune concordance, ou alors très faible, avec les choses très éloignées de nous, telles que les éléments et certains corps mixtes, elles ne suscitent en nous aucune compassion. À l’opposé, la compassion sera donc plus grande et viendra plus vite avec les choses qui ont en commun avec nous davantage de ressemblance et de propriété. Ainsi, un individu partage davantage la douleur d’un individu de sa propre espèce que celle d’un individu d’une autre espèce, comme cela apparaît chez les chevaux et chez les dauphins, qui s’aiment beaucoup et compatissent l’un envers l’autre, comme cela apparaît dans les Histoires des animaux, 5[71]. De la même façon, un homme partage davantage la douleur d’un autre homme que celle d’une bête sauvage, davantage la douleur d’une personne de sa propre loi et celle de son compatriote que celle d’un autre, et davantage la douleur de ses proches que celle d’étrangers. C’est pourquoi les jumeaux partagent davantage leur douleur l’un avec l’autre. D’où Albert le Grand, dans les Histoires des animaux, 9, qui dit avoir vu en Allemagne deux jumeaux à ce point semblables qu’on ne pouvait les distinguer l’un de l’autre. Ils parlaient et chantaient presque d’une seule voix, et s’aimaient tant que l’un ne pouvait rester une journée sans l’autre, et quand l’un souffrait l’autre souffrait aussi. Et Augustin rapporte avoir vu deux autres jumeaux dans le livre De la cité de Dieu[72].

Ensuite : Ou est-ce parce que. Il assigne une autre cause tirée de la faculté appréhensive extérieure manifeste, et dit qu’il en est ainsi parce que les organes de nos sens, comme l’odorat et l’ouïe, reçoivent de ceux qui subissent les choses susdites certains écoulements et mouvements de compassion, selon les puissances propres et déterminées des organes des sens, etc. Cela arrive soit à cause d’un mouvement dans l’air dû au son que produit le choc d’une coupure ou d’un coup, soit parce que la vapeur fumeuse répandue dans l’air fait se mouvoir les organes de ceux qui sont présents et qui regardent les choses susdites. Et alors il arrive que les organes soient mus par la condouleur.

Ou bien c’est à cause du mouvement et de la compassion provoquée dans les facultés d’imagination par l’imagination (ymaginatio) ; ainsi l’on dit au sujet des blessures récentes d’un homme assassiné qu’une fois que le sang a arrêté de couler, celles-ci recommencent à saigner en présence du meurtrier. Cela est dû au mouvement imprimé par le meurtrier dans sa victime par la force de sa puissante imagination (ymaginatio) et de sa fureur. On dit en effet que les esprits qui brûlaient au moment du meurtre ont été imprimés en lui et que, en présence du meurtrier, ils se déplacent du mort vers son meurtrier, d’où ils étaient venus. De cette façon, un mouvement est provoqué dans le corps du mort et les blessures émettent ainsi du sang. Mais selon le théologien, c’est la justice divine qui intervient. [73]

Et ainsi, l’odorat et l’ouïe compatissent sous l’effet des impressions reçues par les choses susdites. De la même façon, la vue compatit aussi sous l’effet de choses plaisantes et tristes. D’où le fait que moi, je ne supporte pas la vue du lait[74]. Nous pâtissons ainsi par les [sens] susdits, l’odorat, l’ouïe et la vue, et si nous pâtissons moins des autres [sens], nous en retirons aussi moins de plaisir. C’est pour cela que la condouleur nous vient de [ces sens-là]. Galien parle d’une compassion de cette sorte au début des Pronostics, en disant que le médecin en qui les malades ont confiance, et entre les mains duquel ils se remettent, est celui qui guérit le plus de maladies[75]. Cela arrive parce que la forme de la santé qui se trouve dans l’âme du médecin est vigoureusement imaginée par l’âme du malade. À cause de cela, la vertu du malade est fortifiée, et la cause qui avait provoqué la maladie est affaiblie. D’où Avicenne, livre 6 Des choses naturelles, 4[76], qui dit qu’une action de cette sorte est plus efficace que ce que fait un médecin avec ses instruments et sa médecine[77].

 

Pourquoi ceux qui s’approchent d’un malade sont-ils infectés par la phtisie, l’ophtalmie ou la gale, alors qu’ils ne sont pas atteints par l’hydropisie, les fièvres ou l’apoplexie, ni par d’autres affections ? En ce qui concerne l’ophtalmie, est-ce parce que l’œil est l’organe le plus noble, et que plus que les autres, il s’assimile à ce qui est vu ? Ou bien est-il mis en mouvement par un objet en mouvement, si bien que, regardant en face ce qui est affecté d’un trouble, il est lui-même troublé au plus haut degré ? Pour la phtisie, est-ce parce qu’elle rend l’haleine mauvaise et lourde ? Très vite tous sont touchés par ces maladies qui viennent du souffle corrompu, comme les maladies pestilentielles. Celui qui s’approche respire un tel souffle. Il tombe alors malade, parce que ce souffle est vicié. Il suffit d’un seul individu, par ce qu’il exhale, pour qu’on soit malade. Un autre contracte par un autre la même maladie parce qu’il respire ce qui l’a rendu malade, à tel point qu’il le devient à son tour. La gale est différente des autres affections comme la lèpre ou celles du même genre, parce qu’elle est superficielle et que sa suppuration est visqueuse. En effet, elle est prurigineuse. Parce qu’elles apparaissent superficiellement et qu’elles sont visqueuses, les affections de ce type peuvent être touchées. Les autres ne peuvent être touchées, parce qu’elles n’apparaissent pas à la surface de la peau ; et celles qui sont à la surface, parce qu’elles n’y restent pas en raison de la sécheresse.[78]

Septième problème

Il reprend le quatrième problème[79] en l’expliquant en détail : pourquoi ceux qui s’approchent de ceux qui souffrent de phtisie, d’ophtalmie, surtout humide, de gale[80], de lèpre, de rougeole et de maladies contagieuses analogues, sont contaminés par celles-ci pour autant que leurs corps auront été disposés de façon à les recevoir, alors que ceux qui s’approchent de ceux qui souffrent d’hydropisie et d’autres fièvres que les fièvres pestilentielles, d’apoplexies et d’autres maladies, ne les contracte pas ? Ce que sont chacune de ces maladies est noté dans la section I et surtout dans le septième problème[81].

Il faut noter que même si ceux qui s’approchent des maladies énumérées en deuxième ne sont pas touchés, et qu’ils le sont souvent en revanche par les maladies énumérées en premier, on doit tout de même se garder de s’approcher longtemps de ceux qui souffrent des maladies [énumérées en deuxième], parce qu’une mauvaise vapeur s’évapore de chaque maladie et surtout de ce qui est matériel, puisque la maladie est un mouvement, comme on l’a dit auparavant[82].

Ensuite : En ce qui concerne l’ophtalmie. La réponse est divisée en deux parties. Il donne premièrement la cause de la première partie de la question ; deuxièmement, il ajoute un corollaire sur la cause de la deuxième partie de la question. La première partie se divise à nouveau en trois parties. Il donne premièrement les causes par lesquelles quelqu’un est infecté par l’ophtalmie, et il dit d’abord que la cause tient à ce que l’œil est la plus noble et la plus sensible de toutes les parties du corps, même l’ouverture de l’estomac, comme le dit Galien, De l’accident et de la maladie, 4[83]. Comparé aux autres, l’œil est celui qui est le plus fortement assimilé à ce qui est vu ; à cause de sa finesse, de sa petitesse et de sa sensibilité, il est tranformé par ce qui est vu en en fonction de ce qui peut l’impressioner. De cette façon, les choses nuisibles qui adviennent au corps se manifestent d’abord dans les yeux. À cause de cela, lorsque quelqu’un a regardé dans les yeux de celui qui souffre d’ophtalmie, il est rendu semblable à celui-ci et de cette manière, il attrape l’ophtalmie. Et tu dois savoir que le signe qui nous indique la noblesse de l’œil est le fait que c’est par lui que les physionomistes révèlent quelque chose des accidents cachés de l’âme, bien plus que par l’un des membres du corps, comme si l’œil était une partie plus semblable à l’âme. D’où Palémon[84], qui dit que les yeux sont comme les fleurs de l’âme et que celle-ci jaillit au dehors à travers eux.

Ensuite : Ou bien est-il mis en mouvement. Il donne une seconde cause à cela et dit : ou bien il en est ainsi parce que l’œil est poussé à réaliser son opération, qui est de voir, par le mouvement de ce qui se trouve au-dessus de lui, c’est-à-dire de la paupière qui le couvre. Et cela n’arrive pas dans la manière de percevoir propre aux autres sens. À cause de cela, l’œil ouvert, clair, est prêt à recevoir une impression. C’est donc quand on regarde un œil infecté par l’ophtalmie, duquel des fumées putrides sont produites dans l’air, qu’on est le plus infecté ; celui qui regarde dans cet œil est atteint par l’ophtalmie de la même façon que la femme menstruée contamine un miroir neuf, comme cela est dit dans le livre Du sommeil et de la veille, 2[85]. Ou bien il en est ainsi parce que l’œil est mis en mouvement par le mouvement d’une vapeur à l’intérieur de lui et par un esprit corrompu.

Ensuite : Pour la phtisie. Deuxièmement, il donne les causes par lesquelles quelqu’un est infecté par la phtisie, prouvant ce qu’il affirme en disant que l’on souffre de phtisie parce qu’un esprit mauvais et corrompu s’évapore de [cette maladie] par l’haleine, un esprit rempli d’humeurs putrides, fétides, provenant d’un ulcère au poumon. Par cette maladie et par d’autres semblables, à cause de l’humeur corrompue et fétide qui s’évapore d’elles, tous sont très rapidement contaminés et sont fortement disposés, de même qu’ils sont contaminés par les fièvres pestilentielles. Et ils le sont à juste titre, parce que les personnes qui s’approchent de ceux qui souffrent de ce genre de maladies inspirent la même humeur corrompue que celle que ces malades avaient expirée. Cette humeur reçoit une légère altération dans l’air, surtout quand à cet endroit il y a promiscuité, qu’il y a du vent et que le domicile est exigu[86].

On conclut donc que celui qui s’approche de ces malades tombe malade, puisque ce qui affecte [le malade] est en soi-même de nature à causer la maladie. Il est évident que cela se passe ainsi, car il tombe malade uniquement à cause de la vapeur putride qu’expire un malade vers une autre personne disposée à la recevoir et qui, en l’inspirant, tombe ensuite malade. Par la suite, la personne qui a été ainsi contaminée par le premier malade a en elle-même de quoi disposer une troisième personne par ce qui se trouvait au début, c’est-à-dire en la contaminant par le même mal qui avait infecté le premier malade. Comme le second malade respire la même humeur etc. au plus haut point putride et fétide, qu’il avait inspiré à l’intérieur, [le troisième] tombera ensuite malade, et ainsi de suite. Et de ce fait, les maladies sont dites contagieuses quand une personne contaminée en contamine une autre à sa suite, etc.

Ensuite : La gale. Il dit comment la gale contamine celui qui s’approche. Et il dit que parmi les maladies susdites, seule la gale peut tuer à la façon de la lèpre et des infections sous-cutanées du même genre, telles que les varioles, rougeoles etc. En effet, la gale ne contamine pas parce que les parties du corps dans lesquelles elle se trouve sont les plus nobles et qu’elles n’ont pas de protection, comme les yeux, ni parce qu’un esprit corrompu, fétide, ou une fumée putride sont émis, comme dans la phtisie et dans la fièvre pestilentielle : elle contamine parce que quelque chose s’échappe et est émis par la gale et la lèpre ; c’est pareillement une humeur épaisse, adhérante, superficielle, qui ne s’évapore pas rapidement ni subtilement et qui contamine surtout par contact. En demeurant à la surface de la peau, elle provoque donc une démangeaison et une inflammation de ces parties du corps. La démangeaison survient par des humeurs épaisses, aigues et fausses, qui ne peuvent pas pénétrer la peau par leur épaisseur, mais, en demeurant sous la peau, ulcèrent la chair et écorchent la peau par leur acuité et leur salure, comme cela apparaît dans le problème 27 de la section V[87].

Ensuite : Parce qu’elles apparaissent. Il ajoute un corollaire pour confirmer la solution de la deuxième partie de la solution. Il dit que c’est parce que les ulcères prurigineux mentionnés ci-dessus se trouvent à la surface du corps, et qu’ils ont un caractère visqueux et adhérant à ce qui les touche qu’ils contaminent ceux qui s’approchent, alors que les autres maladies, qui ne sont pas en surface même si elles sont prurigineuses, visqueuses et permanentes, ne contaminent pas : c’est le cas de la matière de l’hydropisie et de l’apoplexie, etc. De même, certaines maladies qui sont en surface ne contaminent pas ceux qui s’approchent parce qu’elles ne persistent pas dans leur cause, étant donné qu’elles n’ont pas un caractère visqueux et adhérant, mais entaillé et sec, facilement évaporable : c’est le cas des fièvres non pestilentielles et des abcès externes non vénéneux. Deux choses sont donc requises pour que les ulcères prurigineux contaminent quelqu’un : [premièrement], qu’ils aient un caractère visqueux, adhérant à ce qui les touche ; deuxièmement, que l’humeur visqueuse demeure en surface.

 

Pourquoi certains [sons] pénibles[88] à entendre nous font-ils frissonner, le fer lorsqu’on l’aiguise, la pierre ponce quand elle est découpée et un caillou quand il est moulu ? Les signes des passions que nous voyons produisent en nous les mêmes passions. Nos dents sont congelées quand nous voyons des gens manger quelque chose d’acide, et les gens qui en voient d’autres congelés ont un frisson. Est-ce parce que toute voix, tout son est un vent ? Quand ce vent pénètre en nous, il est naturel qu’il nous mette en mouvement. Le mouvement qu’il produit sera plus grand du fait soit de son ampleur, soit de la violence du choc, en créant ou en altérant quelque chose en nous. Plus encore, les vents qui sont doux mettent en mouvement le lieu même de la sensation, de sorte que celui-ci s’enroule d’une certaine manière. Mais les vents rudes, qui produisent un choc violent, secouent le lieu de la sensation et se répercutent au loin par la puissance de la répercussion. Ils se répercutent aussi au loin par le froid. En effet, le froid possède une certaine puissance, c’est donc lui qui fait frissonner, nous l’avons dit. Les vents rudes provoquent un choc répété qui frappe la base des poils et les repousse en sens contraire. Ces impulsions se produisent nécessairement au sommet des poils et en sens inverse, de sorte qu’il arrive que les poils se dressent – car tous étaient inclinés vers le bas. En outre, le mouvement du vent qui passe par l’ouïe se fait dans le corps de haut en bas. Donc, lorsque les sons dont nous avons parlé sont rudes, le frisson se produit pour les raisons que nous avons données. Mais ces frissons se produisent plutôt dans le reste du corps que dans la tête, parce que les cheveux qui se trouvent là sont plus faibles, et que la passion provoquée est moins forte. Ainsi, l’ouïe étant un sens plus faible que la vue, les passions qu’elle entraîne sont superficielles. C’est le cas du frisson. C’est pourquoi il est provoqué par des causes multiples et variées. La vue étant au contraire le sens le plus manifeste, ce qui arrive par elle se produit à peu près de manière proportionnée. C’est pourquoi les passions qui sont produites selon la vérité proviennent de ce sens, mais elles sont plus légères que la vérité. Pour les passions qui viennent de l’ouïe, il n’en est pas de même. Cependant nous frissonnons à cause de l’attente de leurs effets, car c’est l’attente d’un mal douloureux.[89]

Huitième problème

Il demande pourquoi les choses qui nous sont désagréables à entendre parce qu’elles produisent des sons horribles et pénibles nous donnent un frisson et un certain mouvement de choc, comme c’est le cas par exemple du son causé par le fer lorsqu’on l’aiguise en le frottant sur quelque chose de dur, et par la pierre ponce de l’écrivain quand elle est découpée – parce que c’est un corps très sec, poreux, projeté dans la mer de Sicile par l’éruption du volcan – et du son causé de la même manière par un caillou quand il est moulu et broyé, et du son vraiment horrible d’une scie quand on l’aiguise.

Ensuite : Les signes. Après avoir dénombré les choses qui causent en nous une passion quand on les entend, il énumère celles qui causent une passion quand on les voit. Et il dit pourquoi les choses qui ont d’abord été pour nous, par la seule vue, les signes de passions qui se trouvent chez les autres, deviennent ensuite pour nous les causes de ces passions, de sorte qu’elles mettent nos corps en mouvement d’une manière perceptible par les sens, comme par exemple lorsque nos dents se congèlent et deviennent insensibles quand nous avons regardé avec attention des gens mangeant des choses acides ; par cela aussi, une fine salive vient dans notre bouche. Et de la même façon, lorsque certains regardent des gens qui ont très froid et qui tremblent, ils ressentent le froid ; et aussi, ceux qui regardent des gens chaudement vêtus et souffrant de la chaleur en plein été en viennent à avoir chaud.

Il faut noter que, dans tous les cas de ce genre, l’âme compatit non seulement par des dispositions corporelles, mais aussi par des affections propres à l’âme et par des imaginations (ymaginationes), quand celles-ci ont été violentes. C’est pour cela que la plupart du temps, un enfant ressemble à celui que la femme a imaginé au moment de la conception du sperme dans la matrice. De même, c’est ainsi que le flux de sang d’une personne s’amplifie lorsqu’elle regarde attentivement des choses rouges[90]. En outre, par ce moyen, les dents se congèlent quand on mange quelque chose d’acide, et la salive coule aussi de la bouche d’un homme affamé qui en regarde un autre manger[91]. À cause de cela aussi, quelqu’un ressent la même douleur que celui qui souffre, lorsqu’il se l’est fortement représenté en imagination (ymaginatio). Et de la même manière, par cette cause, sa complexion est changée et altérée par rapport à sa disposition naturelle lorsqu’il imagine une chose qu’il craint[92]. Et à cause de cela, un homme peut marcher sur une planche qui est au milieu d’une rue, mais si elle est posée pour former comme un pont au-dessus d’une eau profonde, il n’osera pas marcher dessus. En effet, la forme de la chute est imaginée et fortement imprimée dans son âme ; sa nature et les facultés de ses membres obéissent totalement [à cette forme][93]. Ce sont pourtant des choses auxquelles les hommes qui ne connaissent pas les causes rares des phénomènes occultes ont peur de croire. Mais les savants les admettent et ne les nient pas, tandis qu’ils nient ce qui ne peut absolument pas exister. De telles paroles sont rassemblées par Avicenne dans le Canon, 1, fen 2[94]. Et tu dois savoir aussi qu’Aristote établit que la compassion se fait par la vue à partir du froid, et non à partir du chaud, parce que la chaleur est amie de la nature et que le froid en est généralement l’ennemi, comme le veut Avicenne, Canon, 1[95]. Ce qui est ainsi suscite davantage l’impression de la passion d’un autre.

Ensuite : Est-ce parce que. Il donne premièrement la cause de la question ; deuxièmement, il compare l’ouïe à la vue au sujet de compassions de ce genre. La deuxième partie commence à Donc, l’ouïe. De même, il indique premièrement la cause de la première partie de la question ; deuxièmement, la cause de la deuxième partie de la question, à cet endroit : Ils se répercutent aussi.

Il aborde en premier la majeure de son discours, en disant qu’il en est ainsi parce que toute voix, et en général le son – il dit cela parce que les choses susdites ne sont pas des voix, mais des sons, puisqu’elles ne sont pas faites par les instruments naturels des êtres animés – se produisent avec un certain vent et mouvement de l’air. La voix et le son provoquent en effet un certain mouvement circulaire dans l’air, de même qu’un cercle est provoqué par la projection de pierres dans l’eau. Quand un vent de ce genre s’introduit, il induit un mouvement dans nos organes sensoriels et provoque en eux une sensation, et par conséquent une passion puisque sentir, c’est pâtir en quelque chose, comme cela est dit dans le traité De l’âme, II[96]. Lorsqu’un vent provoque un mouvement plus fort, cela peut être dû soit à sa grande ampleur, parce qu’il déplace beaucoup d’air, soit au choc important qu’il provoque dans l’air, soit aussi au fait qu’il provoque une altération dans l’une des choses qui se trouvent en nous. Cette altération a lieu surtout quand le vent aura été calme.

Ensuite : Plus encore. Il aborde ensuite le milieu de son raisonnement en disant que parmi les vents de cette sorte, ceux qui sont doux et calmes, comme les zéphyrs, suscitent des passions parce qu’ils mettent en mouvement le lieu, c’est-à-dire l’organe du sens, en plusieurs endroits. Ces vents provoquent un enroulement et une circulation dans l’organe du sens. En effet, comme ils soufflent lentement et doucement, ils ont un petit retard à cause duquel ils peuvent entrer et perturber l’organe. C’est pourquoi les chiens trouvent moins de pistes quand un zéphyr souffle, comme cela est dit dans le problème 21 de la section XXVI[97]. Mais les vents qui sont rudes, violents, opposés aux précédents, provoquent un choc puissant dans l’air qui est traversé subitement. De ce fait, ils affluent dans l’organe du sens et le heurtent, et à cause de ce choc, ils sont répercutés au loin par l’organe, dans une grande répercussion provoquée par le choc violent et soudain. En effet, la répercussion est toujours proportionnée au choc. C’est pourquoi ils ne provoquent pas d’enroulement ni de circulation dans l’organe du sens, puisqu’ils n’entrent pas à cause du fait qu’ils sont répercutés au loin. Les vents doux font donc davantage compatir, étant donné qu’ils provoquent en nous une altération en parvenant à l’organe de l’audition.

Ensuite : Ils se répercutent. Il revient à la cause de la deuxième partie de la question en parlant aussi de la modification de l’organe de l’audition. Il dit d’abord que la cause de cette modification vient de ce que les choses qui sont produites au loin provoquent une répercussion qui s’imprime dans nos organes. Il le dit avec raison, car le froid est une vertu active élémentaire, dont le mouvement va de l’extérieur vers le centre. Comme un mouvement de cet ordre a lieu dans le frisson, c’est pour cela que nous frissonnons à partir de ce mouvement et que nous avons froid, comme cela a été dit plus haut et comme on le dira plus longuement dans la section suivante[98], de sorte que les choses froides qui sont devenues dures sont fortement congelantes. Sous l’effet d’un gel extrême, le corps se ride et se durcit, ce qui provoque un choc brusque et répété à la base des poils : quand cela arrive dans la peau dans laquelle ils s’enracinent, elle repousse les poils et les redresse en sens contraire, parce que lorsqu’une impulsion a lieu à la base des poils, près de la peau, il est inévitable que les poils soient disposés à leur extrémité externe en sens contraire à celui d’avant. Il arrive donc qu’ils se dressent, étant donné qu’ils étaient auparavant disposés vers le bas – telle est en effet leur position en général chez nous. C’est pourquoi un tel froid fait se dresser les cheveux, et les poils en général, comme cela apparaîtra mieux dans les problèmes 14 et 21 de la section suivante[99].

Mais le mouvement du vent qui est perçu par l’organe de l’audition, puisque le choc de l’air provoque un son, pénètre la substance du corps de haut en bas. Il entre par les deux trous qui se trouvent dans l’os pierreux et se répand en descendant, par les ramifications des nerfs de chaque côté, sur ce qu’il y a de sensible dans les nerfs du cerveau. Donc l’ouïe provoque en nous la passion du frisson par ladite cause, surtout lorsque les sons susdits ont été rudes, attristants, à cause des corps frappés.

Ensuite : Mais ces frissons. Ici, il montre deuxièmement quelles sont les parties du corps plus ou moins sujettes au frissonnement, en disant que les frissons susdits, et par conséquent les redressements consécutifs des poils, arrivent plus au reste du corps qu’à la tête, et ceci parce que les cheveux qui sont sur la tête sont plus faibles, puisqu’ils ne suivent pas le mouvement de leur base, c’est-à-dire de la peau, comme les autres poils. Ou bien, on dit qu’ils sont plus faibles et plus fragiles à cause de leur localisation : ils sont en effet exposés à recevoir un préjudice, puisqu’une chose est d’abord reçue par la tête. Par conséquent, comme cette passion de frissonnement est faible et fragile, la tête est protégée de celle-ci par les cheveux. Cela arrive aussi parce que la tête est habituée à être exposée à l’air froid, et qu’il n’en va pas de même pour le reste du corps. Les choses habituelles provoquent moins de passion, comme cela a été dit dans la section I[100].

Ensuite : Donc, l’ouïe. Il compare les passions de ce genre relatives à l’ouïe avec celles qui sont relatives à la vue, en disant que l’ouïe est un sens plus faible et plus matériel que la vue. Il n’est pas aussi spirituel que la vue à cause de son organe, de son milieu intermédiaire et de son objet. C’est pourquoi il est dit dans le septième problème[101] que l’œil est le plus noble des organes du sens. Les passions qui naissent d’une compassion par l’ouïe restent à la surface, elles ne se diffusent donc pas dans les profondeurs du corps. Le frissonnement est l’une d’entre elles, c’est pour cela qu’il est dû à la multiplicité et à la diversité des sons dans l’air, et non aux multiples et diverses choses vues, car la vue est un sens plus manifeste et plus spirituel, comme on l’a dit ; sa puissance s’étend jusqu’au dernier des ciels[102]. Les passions et les accidents qui se présentent à la vue sont rendus proportionnellement semblables à l’œil, en tant que son être est manifeste et spirituel. Il arrive donc que des passions soient produites par la vue selon la vérité, et non superficiellement comme cela apparaît dans la vision de fantômes et dans les choses effrayantes qui sont perçues par les autres sens. En effet, cette partie du corps est plus représentative de l’âme que les autres. Les passions causées par la vue sont plus vraies qu’une passion causée par l’ouïe, parce qu’elles occupent tout de suite le corps entier ; et pourtant, elles sont plus petites que celles qui sont causées par l’ouïe, parce qu’elles n’imprègnent pas le corps de façon aussi intime.

Ainsi, la situation des passions de la vue et de l’ouïe est comparable à celle des passions corporelles tempérées et non tempérées. Le corps tempéré tombe souvent malade par la compassion qu’une partie du corps éprouve envers une autre, et il guérit rapidement, comme on le dit dans le problème 22 de la section V[103] ; ce n’est pas le cas du corps non tempéré. De la même manière, dans notre propos, les passions causées par la vue contaminent rapidement le corps entier et sont rapidement disjointes ; mais dans l’ouïe, c’est l’inverse. Voilà pourquoi il dit que les passions causées par l’ouïe ne traversent pas immédiatement tout le corps selon la vérité, c’est-à-dire en acte ou actuellement, mais qu’elles sont plutôt à venir, attendues et superficielles. À cause de l’attente et du délai qui vient de ces sons dont nous attendons le mouvement, un frisson vient en nous. En effet, nous voyons ce qui provoque le son avant d’entendre le son, comme cela apparaît chez celles qui lavent des vêtements, quand on les voit battre [le linge] au loin. Et cela arrive parce que la vue, comme elle est plus spirituelle et plus manifeste, est plus rapide que l’ouïe. La cause de ce genre de frisson est l’attente de la peur, comme cela apparaît avec le tonnerre quand on a d’abord vu l’éclair, parce que l’attente d’un mal est l’attente de quelque chose de douloureux ou de pénible, ou bien parce que l’attente d’un mal est elle-même douloureuse.

Il faut noter que, du fait que la vue est le plus manifeste et le plus commun de nos sens et qu’elle donne plus de précisions, elle provoque non seulement une passion soudaine par son propre organe, mais aussi par les autres organes. En effet, lorsque l’on voit quelqu’un être brûlé ou incisé, même sans entendre, nous frissonnons. De la même façon, lorsque l’on voit une chose vile et fétide, une passion est causée dans l’odorat, même si nous ne percevons pas l’évaporation fumeuse par l’odorat. Cela n’arrive pas avec les autres sens.

 

Pourquoi le pourpier et le sel calment-ils la congélation des dents ? Est-ce parce que le premier a une certaine humidité ? Cela est manifeste quand on le mâche et si on l’expose pendant un certain temps : en effet, l’humidité est attirée dehors. Le visqueux, en entrant, fait sortir l’acide. Cela signifie que l’acidité est parente du visqueux, car la sève possède une certaine acidité. Quant au sel, en se dissolvant, il fait lui aussi sortir l’acidité.

Mais pourquoi la cendre et le nitre n’ont-ils pas le même effet ? Est-ce parce qu’ils sont astringents et qu’ils ne se dissolvent pas ?[104]

Neuvième et dixième problèmes

Ce problème et le suivant sont suffisamment exposés aux chapitres 37 et 38 de la section I[105].

 

Notes: 

[1] Cf. J. Bertier, « Problemata physica », in Dictionnaire des philosophes antiques, Supplément, R. Goulet, J.-M. Flamand, M. Aouad (éd.), Paris, 2003, p. 575-582 ; H. Flashar, Aristoteles. Problemata Physica, Berlin, 1983 (1e éd. 1962), p. 316-358 ; E.S. Forster, « The Pseudo-Aristotelian Problems : Their Nature and Composition », in Classical Quarterly, 22 (1928), p. 163-165.

[2] P. De Leemans, « Was Peter of Abano the Translator of Pseudo-Aristotle’s Problemata Physica ? », in Bulletin de Philosophie médiévale, 49, 2007, p. 103-118.

[3] Sur les commentaires médiévaux aux Problemata, voir M. Van der Lugt, « Aristotle’s Problems in the West. A Contribution to the Study of the Medieval Latin Tradition », in Aristotle’s "Problemata" in Different Times and Tongues, M. Goyens, P. De Leemans (éd.), Leuven, 2006, p. 71-112. Le même volume fournit une bibliographie commentée sur les Problemata.

[4] Aristote, Problèmes, VII, 886a 24-887b 7.

[5] Cf. P. Louis, Paris 1991, t. I, p. 119-122.

[6] Cf. B. Delaurenti, « Jalons pour une histoire de la compassio. Controverses philosophiques et théologiques sur la contagion du bâillement au XIVe siècle », in Recherches de Théologie et Philosophie Médiévales, 79/1, 2012, p. 149-194 et Id., « La compassion  selon  Pietro d’Abano : passion sympathique et action à distance», in Philosophy between Text and Tradition. Petrus de Abano and the Reception of Aristotle’s Problemata in the Middle Ages, P. De Leemans, M. Hoenen (éd.), Leuven, à paraître.

[7] Les textes du corpus aristotélicien cités par Pietro d’Abano dans la section VII sont : Categoriae uel Praedicamenta, De Anima, De motu animalium, De insomniis, Etica, Metaphysica, Physica, Topica.

[8] Les textes de Galien cités par Pietro d’Abano dans la section VII sont : De interioribus, De motibus liquidis, De accidenti et morbo, In Hippocratis pronosticum.

[9] D’Avicenne, Pietro d’Abano cite le traité De anima et le Canon.

[10] Le seul texte d’Albert le Grand cité par Pietro d’Abano est le traité De animalibus.

[11] Ces deux dernières références ne sont mentionnées que dans certains manuscrits.

[12] Pietro d’Abano, Expositio Problematum, VII, B. Delaurenti (éd.), Leuven, à paraître. Cette édition prend en considération l’ensemble des manuscrits. Par ailleurs, Kurt Boughan fournit dans sa thèse une transcription du texte latin à partir de deux manuscrits. Il donne également une paraphrase de la section VII. Cf. K.-M. Boughan, Beyond Diet, Drugs, and Surgery : Italian Scholastic Medical Theorists on the Animal Soul (1270-1400), PhD Dissertation, University of Iowa, 2006, p. 113-131 et p. 327-367.

[13] Sur le modèle de Pietro d’Abano, voir G. Coucke, « The Needle in the Haystack » et « The model of Peter of Abano’s Expositio Problematum », in Edition of Peter of Abano, Exp. IV, with Synthesis, Annotations and Essays, p. xlvii-lx. La traduction latine de Barthélémy de Messine est éditée avec le commentaire de Pietro d’Abano dans le volume à paraître mentionné dans la note précédente.

[14] Cf. M. Goyens, P. De Leemans, « La transmission des savoirs en passant par trois langues : le cas des Problemata d’Aristote traduits en latin et en moyen français », in La transmission des savoirs au Moyen Âge et à la Renaissance, vol. 1 : Du XIIe au XVe siècle, P. Nobel (éd.), Besançon, 2005, p. 231-258 et M. Goyens, P. De Leemans, « Traduire du grec au latin et du latin au français : un défi à la fidélité », in Pratiques de traduction au Moyen Âge. Actes du colloque de l'Université de Copenhague, 25 et 26 octobre 2002, P. Andersen (éd.), København, 2004, p. 204-224.

[15] Aristote, Problèmes, VII, 886a 24-887b 7, trad. française de P. Louis, Paris, 1991-93, p. 123-127.

[16] Voir B. Delaurenti, « Jalons pour une histoire de la compassio … », p. 153-154.

[17] Sur les sens internes selon Avicenne, voir C. Di Martino, Ratio Particularis. Doctrine des sens internes d’Avicenne à Thomas d’Aquin, Paris, 2008 ; E.-R. Harvey, The Inward Wits. Psychological Theory in the Middle Ages and Renaissance, London, 1975 ; G. Verbeke, « Le De Anima d’Avicenne, une conception spiritualiste de l’homme », in Avicenna latinus : Liber de Anima sive sextus De Naturalibus, vol. 2, S. Van Riet (éd.), Louvain, 1968, p. 46*-59* ; H.-A. Wolfson, « The Internal Senses in Latin, Arabic and Hebrew philosophic texts », in Harvard Theological Review, 28, 1935, p. 69-73.

[18] Voir J. Hamesse, « Imaginatio et phantasia chez les philosophes du XIIe et du XIIIe siècle » et O. Weijers, « Le pouvoir d’imagination chez les philosophes néerlandais du XVe siècle », in Phantasia – imaginatio. V° colloquio internazionae de Lessico Intelletuale Europeo, M. Fattori, M. Bianchi (éd.), Roma, 1988, p. 153-181 et p. 205-220.

[19] Elle est employée au singulier dans le problème 2 et au pluriel dans le problème 6.

[20] Voir P. Michaud-Quantin, « Les champs sémantiques de species. Tradition latine et traductions du grec », Études sur le vocabulaire philosophique au Moyen Âge, Roma, 1970, p. 113-150. Sur la notion de species en optique, voir D.-C. Lindberg, Theories of vision from Al Kindy to Kepler, Chicago, 1976, p. 104-121 et K.-H. Tachau, Vision and certitude in the Âge of Ockham. Optics, Epistemology and the Foundations of Semantisc (1250-1345), Leiden, 1988.

[21] L’ordre et la numérotation des problèmes de la section VII diffèrent entre le texte grec et la traduction latine de Barthélémy de Messine : les problèmes 5, 6, 7 et 8 de la version latine correspondent aux problèmes 6, 7, 8 et 5 de la version grecque (du moins celle qui fait l’objet d’une édition critique). Pietro d’Abano suit l’ordre et la numérotation indiqués par Barthélémy de Messine. Dans la présente traduction, nous indiquons en note, pour chaque problème, la référence du passage dans le texte grec. Nous suivons la numérotation de la version latine ; le numéro du problème correspondant dans la version grecque est précisé entre accolades lorsqu’il y a divergence entre les deux traditions.

[22] Ps.-Aristote, Problemata, VII, 1, 886a 24-28.

[23] Ps.-Aristote, Problemata, VII, 2, 886a, 29-35.

[24] Ps.-Aristote, Liber physiognomonie, 1, 805a 1-9, R. Förster (éd.), Scriptores physiognomonici Graeci et Latini, Stuttgart, 1994 (1e éd. 1893), I, p. 5.

[25] Galien, De motibus liquidis (seu De motibus dubiis), VIII, 15, V. Nutton (éd.), Cambridge, 2011, p. 223 l. 10-17. Le titre De motibus liquidis provient de la traduction réalisée par Marc de Tolède à partir de l’arabe vers 1200 ; cette traduction a connu une grande diffusion à l’époque médiévale. Une seconde traduction a été réalisée par Niccolò da Reggio à partir du grec entre 1308 et 1345, sous le titre De motibus dubiis ; elle a peu circulé. Le titre français que nous proposons est une traduction du titre grec et du titre latin de Niccolò da Reggio ; il reprend également le titre d’ensemble choisi par Vivian Nutton (On problematical movements) pour son édition des deux versions latines. Sur les différentes significations du titre De motibus liquidis, voir Galen, On problematical movements, edited with Introduction and Commentary by Vivian Nutton, with an edition of the Arabic version by Gerrit Bos, Cambridge, 2011, p. 253-254.

[26] Le texte latin dit expellit contrarium. Le contraire qui est expulsé s’oppose, en l’occurrence, au soulagement espéré.

[27] Aristote, De motu animalium, 7, 701b 16-25, éd. P. De Leemans, De motu animalium  : fragmenta translationis anonymae, Turnhout, 2011, (Aristoteles latinus, 17), p. 57-58.

[28] Ps.-Aristote, Problemata, VII, 5 {6}, 887a 4-14. Le manuscrit Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 6540 et ceux des branches α et J ajoutent une référence à Aristote, De anima, I, 1, 403a 15-24.

[29] Ps.-Aristote, Problemata, VII, 2, 886a 29-35.

[30] Ps.-Aristote, Problemata, VII, 1, 886a 24-28.

[31] Ibid.

[32] Avicenne, De anima, I, 5, S. Van Riet (éd.), Liber de anima seu sextus de naturalibus, Leuven, t. I, 1972, (Avicenna Latinus), p. 87, l. 19 – p. 90, l. 60.

[33] Aristote, Topicorum, I, 1, 100b 28. L’équivalence entre fantasia et apparentia apparaît dans les différentes versions de la traduction latine des Topiques : la traduction de Boèce donne fantasiam, tandis que l’une des variantes de la traduction anonyme donne apparentiam à la place de fantasiam.

[34] Aristote, De anima, III, 3, 428b 11-14.

[35] Avicenne, Canon, I.1.6.5, éd. Venezia, 1494 [s. f.].

[36] Avicenne, De anima, I, 5, loc. cit.

[37] Avicenne, De anima, IV, 4, S. Van Riet (éd.), Leuven, 1968 (Avicenna Latinus), t. II, p. 62, l. 97‑ p. 66, l. 64. L'encyclopédie philosophique d’Avicenne, al-Shifā, est divisée en quatre sommes ; la deuxième somme, De rebus naturalibus comprend elle-même huit livres ; le sixième livre est le De anima.

[38] al-Ghazzālī (Algazel), Physica, V, 9, J. T. Muckle (éd.), Toronto, 1933, p. 193 l. 13- 194 l. 30.

[39] Avicenne, De anima, IV, 4, éd. cit., p. 65, l. 38-41.

[40] L’expression « produire une image mentale » vaut comme traduction de estimationem operatur.

[41] al-Ghazzālī, Physica, V, 9, éd. cit., p. 194, l. 18-24. Sur la fascination, voir F. Salmon – M. Cabré, « Fascinating Women : the Evil Eye in Medical Scholasticism », in Medicine from the Black Death to the French Disease, R. French, J. Arrizabalaga, A. Cunningham, L. Garcia-Ballester (éd.), Aldershot, 1998, p. 53-84 ; Delaurenti, « La fascination et l’action à distance : questions médiévales (1230-1370) », in Médiévales, 50 (printemps 2006), p. 137-154 ; A. Robert, « Fascinatio », in Mots médiévaux offerts à Ruedi Imbach, I. Atucha, D. Calma, C. König-Pralong, I. Zavattero, Porto, 2011, p. 279-290.

[42] Ps.-Aristote, Problemata, VII, 3, 886a 36-886b 3.

[43] La version latine de Barthélémy de Messine indique sed si iuxta aqua, quasi si iuxta fluuium, mingunt (« alors que si nous nous tenons près de l’eau, par exemple si nous nous tenons près d’un fleuve, nous urinons »). Pietro d’Abano propose de lire sed si iuxta aqua, si quasi iuxta fluuium, mingunt (« alors que si nous nous tenons près de l’eau, si nous nous tenons presque à côté d’un fleuve, nous urinons »).

[44] Ps.-Aristote, Problemata, VII, 4, 886b 4-8.

[45] Ps.-Aristote, Problemata, I, 7, 859b 15-20.

[46] Galien, De interioribus, I, 3, R.J. Durling (éd.), Stuttgart, vol. II, 1992, p. 57, l. 35-45.

[47] Ibid.

[48] Galien, De accidenti et morbo, III, 1, éd. Venezia, 1490, fol. 143v.

[49] Nous traduisons ainsi l’expression in eo quod sit.

[50] Aristote, Categoriae uel Predicamenta, 8, 8b 25-9a 4.

[51] Aristote, Metaphysica, V (Δ), 9, 1018a 14-15.

[52] Aristote, Ethica, I, 1, 1094a 9-10.

[53] Aristote, Ethica, VI, 5, 1140b 20-21 et Auctoritates Aristotelis, J. Hamesse (éd.), Louvain/Paris, 1973, p. 240, n°112.

[54] Aristote, Ethica, II, 5, 1106b 29.

[55] Ps.-Aristote, Problemata, VII, 7 {8}, 887a 22-39.

[56] Ps.-Aristote, Problemata, XXIX, 10, 951a0b 4-10. Le manuscrit Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 6542 (Pp) ajoute une référence au Ps.-Alexandre, Problemata, I, 34, J. L. Ideler (éd.), Physici et medici graeci minores, Amsterdam, 1963 (1e éd. Berlin, 1841-42), vol. 1, p. 13.

[57] Ps.-Aristote, Problemata, VII, 5 {6}, 887a 4-14.

[58] Ps.-Aristote, Problemata, VII, 1, 886a 24-29.

[59] Le texte latin dit egerunt alum ad egestionem aliorum. Allice est une translittération du grec άλύκη, que l’on trouve dans le commentaire de Galien aux Aphorismes d’Hippocrate avec le sens de pandiculatio : il désigne l’agitation physique qui accompagne le bâillement, d’où la présente traduction par « étirement ». Cf. Galien, In Aphorismis, VII, 56, in Aphorismi cum Galeni commentariis, éd. Paris, 1532, 118r. Sur ce vocable, voir E. Littré, Œuvres complètes d’Hippocrate, traduction nouvelle avec le texte grec en regard, Paris, 1839-1861, IV, 595.

[60] Les manuscrits Città del Vaticano, Biblioteca apostolica Vaticana, Vat. Lat. 2175(Vb), et Ottob. Lat. 1764 (Vo) ainsi que Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 6542 (Pp) ajoutent une référence à Galien, De motibus liquidis, VIII, 16, V. Nutton (éd.), Cambrige, 2011, p. 223, l. 17-19 et à Hippocrate, De humoribus, 9, Littré (éd.), V, p. 489-490 [cité par Galien, De motibus liquidis, VIII, 15, éd. p. 223, l. 10-17].

[61] Pietro d’Abano, Expositio, VII, 2 ; Avicenne, De anima, IV, 4, éd. p. 62, l. 97 – p. 66, l. 64.

[62] Les manuscrits Città del Vaticano, Biblioteca apostolica Vaticana, Vat. Lat. 2175 (Vb) et Ottob. Lat. 1764 (Vo) et celui de Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 6542 (Pp) ajoutent une référence au Ps.-Alexandre, Problemata, I, 34, éd. Ideler, p. 13.

[63] Galien, De accidenti et morbo, IV, 6, éd. Venezia, 1490, fol. 146v.

[64] Ps.-Aristote, Problemata, VII, 6 {7}, 887a 15-21.

[65] Haly Abbas, Theorica, IV, 1, éd. Lyon, 1523, fol. 43-43v.

[66] Galien, De interioribus, III, 3, éd. p. 89 ou III, 9, p. 98.

[67] Aristote, Physica, II, 2, 197a 29-30.

[68] Ce terme traduit le latin convenientia, qui désigne une communauté de nature, une ressemblance initiale, antérieure à la situation de compassion.

[69] Aristote, Physica, VIII, 2, 252b 26-27 et Auctoritates Aristotelis, J. Hamesse (éd.), p. 156, n° 205.

[70] La même expression est employée quelques années auparavant par Bernard de Gordon dans son Liber pronosticorum de 1295, pour comparer les mouvements de la nature et les mouvements de la maladie : Bernard de Gordon, Liber pronosticorum, IV, 13, éd. A. Guardo, Los pronósticos médicos en la medicina medieval : « El tractatus de crisis et de diebus creticis » de Bernardo de Gordonio, Valladolid, 2003, p. 368-70.

[71] Albert le Grand, De animalibus, VIII, tract. 5, c. 2, § 211, H. Stadler (éd.), (Beiträge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters, 15), Münster i. W., 1920, p. 659-660.

[72] Albert le Grand, De animalibus, IX, tract. 1, c. 6, § 64, éd. p. 699, citant Augustin, De ciuitate dei, V, 2-6 (Corpus Christianorum, Series Latina, 47), p. 129-134.

[73] Sur la cruentation, voir A. Boureau, Théologie, science et censure au XIIIe siècle. Le cas de Jean Peckham, Paris, 1999, p. 237-291

[74] Cette phrase est le seul passage de la section VII dans lequel Pietro d’Abano prend la parole à la première personne. La formulation paraît souligner le caractère personnel du témoignage : Pietro ferait part du dégoût que provoque en lui la vue du lait. Néanmoins, il est délicat d’interpréter ce passage comme une allusion de l’auteur à sa propre expérience. Pieter De Leemans et Gijs Coucke ont montré, à partir d’une série d’extraits de l’Expositio Problematum dans lesquels Pietro d’Abano intervient à la première personne, combien il est difficile d’établir si ces allusions font écho à une expérimentation directe de l’auteur ou s’ils évoquent une expérience rapportée. Cf. P. De Leemans, G. Coucke, « Sicut vidi et tetigi… Egostatements and Experience in Pietro d'Abano’s Expositio Problematum Aristotelis », in Expertus sum. L’expérience par les sens dans la philosophie naturelle médiévale, T. Bénatouïl, I. Draelants (éd.), Firenze, 2011 (Micrologus’ Library, 40), p. 405-426.

[75] Galien, In Hippocratis pronosticum, I, éd. Articella, Venezia, 1483, fol. 47.

[76] Avicenne, De anima, IV, 4, éd. p. 64, l. 23-24.

[77] Sur le motif de la confiance du malade dans les textes scolastiques, voir B. Delaurenti, La puissance des mots : virtus verborum. Débats doctrinaux sur le pouvoir des incantations au Moyen Âge, Paris, 2007, p. 172-184 et p. 354-365 ; A. Robert, « Le pouvoir des incantations selon les médecins du Moyen Âge (XIIIe-XVe siècle) », in Le pouvoir des mots au Moyen Age. Actes du colloque Lyon, 22-24 juin 2009, N. Bériou, J.-P. Boudet, I. Rosier-Catach (éd.), Turnhout, 2014, p. 459-490 (Bibliothèque d’Histoire Culturelle du Moyen Age).

[78] Ps.-Aristote, Problemata, VII, 7 {8}, 887a 22-39.

[79] Ps.-Aristote, Problemata, VII, 4, 886b 4-8.

[80] Le manuscrit Paris, B.n.F., lat. 6542 (Pp) ajoute une référence à « Alexandrum 34° », c’est-à-dire au Ps.-Alexandre, Problemata, I, 34, p. 13.

[81] Ps.-Aristote, Problemata, I, 7, 859b 15-20 et Pietro d’Abano, Expositio, I, 7.

[82] Ps.-Aristote, Problemata, VII, 4, 886b 4-8 et Pietro d’Abano, Expositio, VII, 4.

[83] Galien, De accidenti et morbo, IV, 7, éd. Venezia, 1490, fol. 147v.

[84] Loc. non invent.

[85] Aristote, De insomniis, II, 459b 27-460a 26.

[86] Avicenne, Canon, I.2.1.8.

[87] Ps.-Aristote, Problemata, V, 27, 883b 26-32.

[88] L’expression tristis per auditum ne désigne pas la tristesse, mais le caractère déplaisant de certains sons.

[89] Ps.-Aristote, Problemata, VII, 8 {5}, 886b 9-887a 3.

[90] Avicenne, Canon, I.1.4.2 et Canon, I.2.2.1.14. Certains manuscrits comportent un renvoi au Canon : Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 6541 (Py), lat. 6541A (Pz) et lat. 6542 (Pp), Città del Vaticano, Biblioteca apostolica Vaticana, Vat. Lat. 2174 (Va), Vat. Lat. 2175 (Vb), et Ottob. Lat. 1764 (Vo.).

[91] Avicenne, Canon, I.2.1.8 et Canon, I.2.1.14.

[92] Avicenne, Canon, I.2.2.1.14.

[93] Avicenne, De anima, IV, 4, p. 64, l. 25-30. Les manuscrits Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 6541 (Py), lat. 6541A (Pz), lat. 6542 (Pp), et Città del Vaticano, Biblioteca apostolica Vaticana, Vat. Lat. 2174 (Va) attribuent ce passage au De motibus liquidis de Galien, qui comprend en effet une remarque sur le vertige : Galien, De motibus liquidis, VIII, 15, V. Nutton (éd.), p. 223, l. 13-15.

[94] Avicenne, Canon, I.2.2.1.14.

[95] Avicenne, Canon, I.2.2.1.6.

[96] Aristote, De anima, II, 11, 423b 31-32.

[97] Ps.-Aristote, Problemata, XXVI, 22, 942b 13-15.

[98] Ps.-Aristote, Problemata, VIII, 887b 10-889b 7.

[99] Ps.-Aristote, Problemata, VIII, 15, 888b 16-20 et 21, 889a 26-889b 3.

[100] Ps.-Aristote, Problemata, I, 1, 859a 1-2 et 15, 861a 1-9.

[101] Pietro d’Abano, Expositio problematum, VII, 7.

[102] L’expression ad ultimum celorum désigne la longue portée du regard, qui peut s’étendre jusqu’à l’horizon, par comparaison avec necesse prudenciam habitum, la portée plus restreinte de l’ouïe. Pour ce passage, une autre variante est possible dans les manuscrits : « jusqu’à la dernière des couleurs » (ad ultimum colorum).

[103] Ps.-Aristote, Problemata, V, 22, 883a 11-21.

[104] Ps.-Aristote, Problemata, VII, 9, 887b 1-7. Selon les versions du texte grec, les problèmes 9 et 10 de la section VII sont tantôt distingués, tantôt rassemblés en un problème unique ; on trouve la même confusion dans les différents manuscrits de la traduction latine de Barthélémy de Messine, qui adoptent tantôt l’une, tantôt l’autre répartition. Les éditions critiques modernes du texte grec ont choisi de dénombrer neuf problèmes pour la section VII. Pietro d’Abano en dénombrait dix, comme l’indique son commentaire.

[105] Pietro d’Abano, Expositio, I, 37 et 38.

 

Pour citer l'article: 

B. DELAURENTI, « Pietro d’Abano, Expositio Problematum, VII (v. 1310). Traduction en français », in Spicae. Cahiers de l'Atelier Vincent de Beauvais, nouvelle série, 3, 2013, p. 1-27 <consulté en ligne le (date) à l’adresse : spicae-cahiers.irht.cnrs.fr/node/65>